Après la fresque biblique « La dernière tentation du Christ » qui fit des ravages en son temps, Martin Scorsese réalise « Apprentissages », un sketch sur la vie new yorkaise d’un couple. Deux autres pièces (de Coppola et Woody Allen) viennent s’ajouter pour se réunir sous le titre « New York stories » (bien entendu !). L’année 1990 met Scorsese sur orbite : classique parmi les classiques, « Les affranchis », salué unanimement par la critique, marque l’empreinte scorsesienne sur le cinéma …et le film de gangsters (pour un retour aux sources !). Suivront un succès commercial affûté (« Les nerfs à vif » ; Marty rendant hommage à l’original estampillé Jack Lee Thompson), un drame amoureux dans le New York des années 1870 (« Le temps de l’innocence » qui glanera l’Oscar des meilleurs costumes), un chef d’œuvre de genre ayant pour cadre Las Vegas (le drame policier « Casino » marque la fin de la collaboration Scorsese-De Niro ; et Sharon Stone recevant ainsi le Golden Globe de la meilleur actrice pour son rôle), un biopic intimiste sur le Dalaï-Lama (« Kundun », le rapprochant ainsi de sa foi religieuse) et une plongée nocturne new yorkaise (encore !) d’un ambulancier -Nicolas Cage- dans « A tombeau ouvert ». Début du vingt et unième siècle, nouveau chef d’œuvre : « Gangs of New York » (le réalisateur enrôlant pour la première fois Leonardo DiCaprio, et Daniel Day-Lewis de recevoir le BAFTA du meilleur acteur) prenant pour cadre le New York (sic !) du dix-neuvième siècle. 2004 : « Aviator », le biopic sur la vie du milliardaire Howard Hugues (incarné par DiCaprio : sa seconde collaboration avec le metteur en scène), rapportant douze prix (cinq Oscars, quatre BAFTA et trois Golden Globes), permet à Scorsese de rendre hommage à l’âge d’or du cinéma hollywoodien. Son projet suivant ? « Les Infiltrés ».
Synopsis : Boston. Pour mettre fin au règne de Costello, chef de la pègre irlandaise, la police infiltre un bleu, Billy. Tandis que ce dernier gagne la confiance du parrain, un nouveau venu s’installe dans la brigade chargée d’éliminer Costello. Un jeu du chat et de la souris commence… .
Directement inspiré du métrage hongkongais « Infernal affairs » » d’Andrew Lau, Martin Scorsese prend racine à Boston pour la première fois de sa carrière et nous dépeint la violence notoire qu’il y règne. On est ainsi transporté dès la scène d’introduction dans laquelle on reconnaît aisément le style tapageur du maître : accentuation des acteurs (ici, en l’occurrence Jack Nicholson), caméra à l’épaule pour un rendu minutieux du réalisme et ses fameux travellings arrière en contre-plongées appuyés d’une bande-son rock n’roll inimitable (le fameux « Gimme shelter » jaegerien).
Alors oui, nous sommes bien en présence d’un Scorsese pur et dur : tout le monde retrouvera sa marque de fabrique, et son équipe technique est au complet –le chef opérateur allemand Ballhaus, la chef décoratrice britannique Sandy Powell, la chef costumière Kristi Zea (déjà présente sur « Les affranchis » !), le compositeur américain Howard Shore (aujourd’hui mondialement reconnu : « Le silence des agneaux », « Seven », la trilogie du « Seigneur des anneaux », et tout récemment le multi-récompensé « Spotlight » fait partie intégrante de son CV), la monteuse scorsesienne Schoonmaker. En revanche, Scorsese oublie ici de mettre en valeur son scénario à tiroirs (pourtant écrit par William Monahan qui signe ici son deuxième script, son premier étant le péplum « Kingdom of heaven » !) et de nous plonger davantage dans les arcanes du pouvoir. Oui, Scorsese nous maintient en haleine pendant deux heures et demie, et oui, le metteur en scène arrive à nous captiver. Ce qu’il n’arrive pas à faire ? A nous envoûter par sa force de mise en scène (ici, beaucoup trop conventionnelle), la complexité des personnages (tout le monde est effleuré, à part un Mark Wahlberg investi comme jamais), le rythme nerveux de sa narration et de son écriture filmique (pourtant si caractéristique, on ne l’approche qu’au début du film, c’est dire !), sa violence (à peine esquissée en un plan figé rouge sur Nicholson lui-même au milieu du film) et surtout, l’ambiance bostonienne (dans « Gangs of New York », les rues étaient source de haine et de conflit, pour « Les infiltrés », pas de rendu esthétique à ce sujet) n’expliquant en rien le conflit irlando-américain (ce qui avait été sublimé dans « Gangs of New York » !).
Martin Scorsese se rabat ainsi sur sa bande-son et ses acteurs. On prend néanmoins un plaisir coupable à écouter les tubes des Rolling Stones et à suivre cette fameuse bande scorsesienne (de bras-cassés !) en des rôles convaincants à souhait. DiCaprio (rencontrant pour la troisième fois le réalisateur) et Matt Damon (notre Jason Bourne international) qui incarnent respectivement Billy l’infiltré et l’enquêteur de la brigade d’intervention forment un antiduo fort délectable. Jack Nicholson (qu’on ne présente plus : « Le dernier nabab », « Batman », « Mars attacks »…), dans la peau du parrain Costello, impressionne, et c’est tant mieux !, tout comme Mark Wahlberg (« The yards », « Ted », et vu dernièrement dans le catastrophe « Deepwater ») qui, dans un second rôle de policier, livre une très belle composition. Joker ! Avec également un pedigree d’acteurs qui ne se démarquent pas pour autant : Martin Sheen, Ray Winstone, Vera Farmiga, Alec Baldwin, Conor Donovan (il est apparu dans la série « Orange is the new black »). Notons la présence de Robert Wahlberg, frère de Mark, et Francesca Scorsese, fille de Marty.
Pour conclure, « The Departed »(2006), film mineur dans la carrière du metteur en scène, se doit d’être vu pour tout fan de films de gangsters, de rock et de Mark Wahlberg. Les autres, vous pouvez passer votre chemin.
Accord parental souhaitable.
Spectateurs, Nicholson pour un jour, Scorsese pour toujours… .
A noter : Brad Pitt est producteur des « Infiltrés ».