A history of violence, mon premier Cronenberg, est une belle satisfaction. Passons rapidement sur ce que le film est au premier degré ; un thriller aux airs de série B très efficace, tourné de manière classique mais avec une grande élégance de plans. Maintenant, si on cherche à creuser, on tombe rapidement sur quelques pépites. Pas besoin d'aller bien loin pour saisir ce qui est probablement le message le plus affleurant du film ; la dichotomie humaine et la part de mal dont recèle chacun. Certes on a déjà été servis sur ces thèmes et d'autres thèmes voisins, mais il faut quand même avouer que cette fois, la réflexion est très bien menée, la dualité du personnage finissant par sombrer en plein flou, se privant de contours, ses deux facettes devenant indistinctes, si bien que lorsque vient cette dernière scène si significative, on ne sait plus, malgré les apparences, à qui on a affaire. Saluons à ce propos le grand jeu d'acteur de Viggo Mortensen, pas sans me rappeler ici le personnage dessiné pour lui par Sean Penn dans The Indian Runner. Puis, si on creuse encore un peu, et surtout si on se rappelle le titre du film, apparaît sans difficulté une réflexion sur la violence, supposée atavique, et son pouvoir de contamination, notamment via le personnage du fiston. Mais est aussi supposée, par la scène des escaliers (m'étendre davantage reviendrait à spoiler) une attirance humaine pour la violence, signe encore de la dichotomie étalée tout au long du film. Cronenberg parvient d'ailleurs d'entrée, grâce au saisissant plan-séquence d'un paisible hôtel filmé en travelling latéral puis à la transition brutale avec la scène qui le suit, à dévoiler la présence cachée mais accablante de la violence. Mais A History of violence est loin de s'arrêter là, s'attaquant également à l'idée parfaite de la famille vendue par le fameux rêve américain, sans pour autant écarter toute ambiguïté; certes la famille Stall est construite sur le mensonge et n'a rien à voir avec la présentation effectuée en début de film, mais la scène finale est là pour nous rappeler que tout n'est pas si simple. Et enfin, toutes ses recherches thématiques ne se font en fait qu'à travers une autre, apparemment le péché mignon, du réalisateur canadien : la rupture et les attaches entre fiction et réel. Reprenons le plan-séquence : un hôtel impossible à situer, des tueurs non identifiées, une absence de buts et d'explication, et surtout une scène clichetée à souhait : la fiction règne en maître. Puis vient la peinture d'une famille américaine moyenne, banale mais en fait réaliste, évoluant dans un cadre nettement posé. Cette cassure entre abstrait, imaginaire, et réel ne sera pas la première, mais sera bel et bien la plus nette, tant fiction et réalité se mêleront à mesure que l'intrigue s'étendra tranquillement. C'est ainsi, par des bulles de fiction s'ancrant dans le réel (la scène du restaurant de Stall, le règlement de comptes avec le personnage de Harris...), que Cronenberg développe tout : les poussées de violence de ses personnages comme leur ambiguïté, et leur déchirement, entraînant celui de leur image de façade. L'occasion sans doute pour le cinéaste de rappeler que si ce qu'il filme est justement une fiction, il se rapproche sans nécessairement s'en inspirer, de la réalité humaine. Bon vous l'aurez quoi qu'il en soit compris, A History of violence est un film très dense malgré son format réduit (1h 25). Tenter comme je l'ai fait de décrypter au mieux le message de Cronenberg n'est pas chose aisée, même en recoupant plusieurs idées de confrères cinéphiles. Mais je le rappelle, on tient déjà à la base un thriller solide, ayant certes une jolie toile de fond à offrir, mais ne déméritant pourtant pas dans son plus simple appareil de film et donc de récit. Un grand film.