Un générique à la typographie gothique défilant sur un château sinistre au sommet d’une colline noyée par le brouillard, une musique ensorcelante au violon interrompue par les craquements d’un orage, les claquements de la pluie sur les pavés, un long travelling à travers une salle ou, face à un feu de cheminée, trône un cercueil gravé Baron Von Frankenstein, un carillon sinistre qui sonne douze coups…nous voilà dans l’ambiance typique des Dracula et Frankenstein produits par les studios Universal dans les 30’s. Malgré ce fort parfum old school renforcé par une image noir et blanc, il s’agit pourtant d’une production 20 th century fox et nous sommes en 1974 lorsque Frankenstein Junior arrive en salle.
Mel Brooks qui bénéficie d’un fort crédit auprès des studios, suite au triomphe de son Le Shérif est en prison, souhaite continuer dans la comédie parodique. Après celle de la mythologie westernienne il s’attaque ici aux films d’épouvante. Mais l’angle qu’il va choisir va lui permettre de réaliser un formidable hommage aux classiques des films de monstres, au point qu’il suffirait d’en retirer les effets comiques pour faire rougir les anglais de la Hammer qui, dans les années 50/60, redonnèrent leurs lettres de noblesse au genre. Bien lui en a pris de rester dans la comédie tant son Frankenstein va s’avérer au final le meilleur pastiche de l’histoire du cinéma.
Gene Wilder et Mel Brooks vont bâtir leur scénario à partir du Frankenstein (1931) et du Bride of Frankenstein (1939) de James Whale. Deux œuvres dont ils vont effectuer un savant mixage. L’occasion de nombreuses scènes cultes reprises dans un subtil dosage entre hommage et parodie, un équilibre de ton dont la justesse procure des sommets de pure jubilation, entre émerveillement et fous rires. Comment oublier, entre autre, le premier réveil de la créature dans le laboratoire, la rencontre avec le moine aveugle (époustouflant Gene Hackman) et le monstre littéralement abasourdi (surtout ébouillanté et brulé !) par sa maladresse, celle avec la petite fille au bord du puit et avec la balançoire, l’assaut des villageois au château suivi du dialogue entre l’inspecteur et le docteur…
De de nombreuses scènes reliées à l’ensemble du récit grâce à une qualité de narration exceptionnelle et un humour qui fait toujours mouche. Mel Brooks y fait étalage de toute sa parfaite maitrise de la comédie avec le comique de répétition, la caractérisation des personnages, les jeux de mots, l’humour noir, le burlesque et bien sur la parodie.
Le film est porté par un casting cinq étoiles ou chaque acteur semble en état de grâce, apportant à leur rôle ce supplément d’âme qui sacralise l’interprétation.
Peter Boyle est un monstre désopilant de tendresse, de comique et de fureur. Madeline Kahn campe une bourgeoise ultra maniérée agaçante à souhait et sexuellement coincée, qui de fiancée du Docteur va passer en mode Bride cheveux dressés et assoiffée de sexe…avec la créature ! Terri Garr joue une laborantine, sorte de version sexuelle des films de Whale. Kenneth Mars endosse l’uniforme de l’inspecteur Friederich Kemp avec monocle et grossier accent germanique, l’occasion d’apparitions bidonnantes avec notamment son bras mécanique qui reste coincé en position salut nazi. Sans oublier Cloris Leachman l’iconique gouvernante Frau Blücher avec le cheval qui henni dès qu’on prononce son nom, et Gene Hackman bien sûr, en moine aveugle et donc maladroit.
Mais que dire du duo Gene Wilder / Marty Feldman, a part qu’ils sont époustouflants ! Wilder dans le rôle du Docteur Frankenstein (« prononcez Frankenstinnnn! ») fait montre de toute sa palette d’acteur de formation classique et de véritable « bête d’écran ». Il livre une interprétation magistrale tout en mimiques exagérément théâtralisées et a grandes envolées verbeuses. Comme un clin d’œil au début de sa carrière à Broadway il livre un hilarant numéro de claquette avec Peter Boyle, dans une scène ou la bête est présentée au public dans un théâtre avant de s’échapper. Un hommage évident au king kong de Cooper (1933) mais que l’on retrouvera en 1980 dans Eléphant man de David Lynch, film produit par… Mel Brooks !
Marty Feldman est quant à lui H-A-L-L-U-C-I-N-A-N-T de burlesque avec ses roulement
s d’yeux naturellement exorbités, sa bosse « baladeuse », son toc de comportement qui lui fait reproduire les attitudes et les répliques de ses partenaires, sa bêtise fulgurante. Ce type est vraiment incroyable et nous livre une interprétation des plus effarantes et des plus drôles. Absolument tordant !
Je pense d’ailleurs avoir beaucoup plus ri lors du (double) visionnage pour rédiger ce papier, que toutes les fois précédentes tant il y a de gags, de détails (je viens juste de me rendre compte que les bougies du chandelier de la gouvernante dans les couloirs sombres…ne sont pas allumées !), de scènes incroyables de loufoquerie…
Bercé par une musique de violons qui exacerbent la dramaturgie ou de cors et de trompettes qui renforcent l’inquiétude, avec des transitions entre les scènes a l’aide de caches ronds (procédé propre au cinéma muet), le noir et blanc de l’image très contrasté, certains décors (notamment le laboratoire) et accessoires du film originel de Whale réutilisés, nous sommes assurément dans le sommet esthétisé de l’hommage.
Frankenstein junior est la plus brillante, la plus hilarante comédie satirique de l’histoire du cinéma, et qui fera école avec notamment les « y a-t-il… » des ZAZ. Mel brooks restera dans ce registre toute sa carrière mais avec de moins en moins de légèreté et de finesse avant de finir par ne plus faire recette et de se consacrer à la production. Quant à Igor et le Docteur Frankenstinnnnn ils ont leur place au musée des œuvres d’art, dans la case… « Crânes éternels » !