Je n'ai absolument rien compris. Mais c'était très bon.
Le film est diablement alambiqué, retors, mais sa mise en scène est d'une intelligence telle qu'il y a toujours quelque chose de stimulant à prendre malgré la complexité du scénario. Le film est une sorte de Traffic à la sauce géo-politico-socio-économique, et il est aussi clair que le dernier adjectif que je viens d'utiliser. Bon Syriana est compliqué mais finalement ça ne pose pas de véritable problème parce que le film traite son spectateur en adulte. Le cinéma a trop tendance à simplifier les enjeux, à être démonstratif jusqu'à l'excès, et Syriana, en choisissant une voie opposée, oblige le spectateur à ne jamais relâcher l'attention.
Syriana, dans la manière dont il pose ses enjeux, est un peu l'anti-Babel. Non pas qu'Iñarritu simplifiait à l'extrême son dernier chef d'oeuvre, mais Stephen Gaghan ne donne pas l'impression de rechercher l'effet, la provocation émotionnelle. Le film trace son chemin sans attendre qu'on le suive, mais le paradoxe c'est justement qu'on s'accroche volontiers à l'intrigue parce que - fait rare - rien ne nous est donné gratuitement et l'oeuvre est rigoureuse, donc l'implication du spectateur davantage jouissive. Le cinéma explique donc souvent plus qu'il ne le devrait, Syriana non. Résultat ? On a l'impression de dépasser un peu le cadre de la pure fiction, et la position que l'on adopte est celle que l'on peut avoir dans la vie de tous les jours : il y a des choses qui restent inexplicables, des événements dont nous sommes témoins dont nous n'avons pas toutes les clés, des réactions que l'on ne peut comprendre parce qu'elles se révèlent beaucoup trop complexes, et décrire tout ça dans les moindres détails en deux heures serait simplement une totale ineptie. Le spectateur de Syriana est donc plongé dans l'inconnu, et comme chez Lynch dans une mesure totalement différente, ne pas tout comprendre en ayant l'impression d'évoluer dans un univers étranger et familier à la fois est une expérience de cinéma plus que stimulante.
Le film fait honneur à la tradition des films de gauche US, surtout grâce à son excellent scénario - dont la subtilité est un sérieux atout - ses acteurs formidables, et un aspect technique dont le montage est un des points forts. Son caractère fluide ne fait que renforcer l'idée que chacune des situations données du film a une conséquence sur une autre, qu'une décision prise à Washington provoquera un effet papillon en Libye par exemple. On peut penser qu'entre les mains d'un Michael Mann, le film aurait nettement gagné en puissance, en poésie aussi sûrement. Mais Syriana n'a peut-être pas cette ambition, il s'inscrit dans un registre purement réaliste, s'attache à l'unique description d'un monde dominé par le dollar. Réalisé très peu de temps après le début du conflit en Irak, le film n'en prend que plus d'importance, d'autant plus qu'il évoque avec intelligence la question terroriste.
Solide techniquement ( très belle musique de Desplat aussi ), et servi par des comédiens impeccables, Syriana est davantage qu'un simple film à scénario grâce à une mise en scène d'une remarquable intelligence.