Si le cinéma c'est vivre une expérience, alors "La Montagne Sacrée" de Jodorowsky en est une, indéniablement.
Adaptation très libre du roman inachevé de René Daumal, "le Mont analogue", le réalisateur emmène le spectacteur dans un voyage initiatique déconcertant et insaisissable. Loin du prêt-à-penser, et du binge watching, ce film ravira les cinéphiles curieux d'explorer des contrées cinématographiques oubliées, riches et insondables.
Film déconcertant où chaque scène est plus surprenante que la précédente, l'on se demande où l'on est, et on en perd son latin. Avec Jodorowsky, nos sécurités factices tombent en lambeaux face à la puissance du surréel.
Dans cet univers baroque où règne la confusion la plus totale, se dessine malgré tout un chemin sinueux qui permet de se repérer dans cette pérégrination alchimique, où la carte n'est pas le territoire, et où aucune boussole ne nous guidera.
Ce côté insaisisable et énigmatique est l'essence même de cette quête, sa quintessence.
Au fur et à mesure, tout doucement, lentement et progressivement, les enjeux de ce voyage initiatique commencent à apparaitre...
Enfin, nous grimpons alors vers les sommets de la montagne, vers l'inaccesible et l'incertain. Le réel n'est plus, le surréel éclate au grand jour et laisse le spectacteur dans l'hébêtude et la circonspection, déboussolé comme jamais. L'ascension est diffiicle autant pour les protagonistes que pour le spectateur, qui n'est pas ménagé.
Dans "La Montagne Sacrée",nous sommes constamment dans une atmosphère mystique, psychédélique : cette déflagration des sens est difficile, parfois presque irrespirable.
Peinture surréelle aux limites de la folie, l'on se demande souvent où l'on va, et où nous sommes !
C'est le propre de l'initiation vécue, autant pour les spectateurs que pour les protagonistes.
Dans ce tourbillon des sens et ce vertige de l'imaginaire, le spectateur est prit dans les griffes de la bête, et s'échapper est désormais difficile.
Ceux qui aiment les sentiers balisés devront s'éloigner de cette montagne, car celle ci est difficile à gravir. Son message n'est audible que pour certains : ceux qui sont prêts à l'entendre. Car cette façon d'appréhender le Réel est quelque peu déroutant pour l'homme du 21ème siècle qui veut des certitudes, voue un culte à la science et idolâtre le progrès technique. Loin d'une vision purement mécaniste et rationaliste du monde, l'univers jodorowskien ne peut que susciter des réactions de rejet, du mépris et de l'incompréhension ; ce qui est plutôt sain en fin de compte, car cela veut dire qu'il vise juste et appuie là où il faut. Son cinéma créatif, poétique et anarchiste réhabilite l'imaginaire et le rêve, non pour fuir le monde, mais pour au contraire entrer profondément en relation avec lui.
C'est un film qui nourrira les poètes, les rêveurs et les romantiques, tous ceux qui n'ont pas renoncé à la vie intérieure, à l'art et à la spiritualité. Cette invitation à la contemplation, à la lenteur, à l'expérience vécue et au rêve est à mille lieues des préoccupations de notre époque où l'on valorise la production, la vitesse, l'utile et l'efficace. Cette Montagne Sacrée est pour ceux qui ont soif de beauté, qui cultivent l'émerveillement au quotidien, loin de l'agitation frénétique de notre civilisation, et qui savent que la vérité et l'essentiel sont ailleurs que dans les fausses promesses de la bruyante société de consommation dans laquelle nous baignons.
Ouvrir les yeux, transformer son regard, se libérer des illusions aveuglantes de notre société, n'est-ce pas le message crypté de La Montagne Sacrée ?