Découvrir un tel délire transgressif reste une expérience troublante, dérangeante (violente), poétique, dans tous les cas marquante. Cette "fable" fantas-mystico-surréaliste haute en couleurs (du sordide obscène à l'éblouissement merveilleux), très riche en références, passe en revue le destin catastrophique de huit planètes aux sociétés pourries par des directions fascistes et la quête, illusoire, par leurs maîtres à penser, d'une auto-épuration radicale. Un scénario radicalement atypique, superbement mis en scène, dont la cohérence se révèle lentement. Sur terre, le fascisme se déploie par le détournement pervers du message sacré (ici, christique) : ainsi piégé, un "Jésus" (mince, blanc, chevelu), 34 ans, vêtu de rien puis d'un "string", se rebelle et va rencontrer le "Maître" des religions planétaires unies (joué par Alexandro Jodorowsky lui-même) qui se chargera, avec sa svelte servante noire, de former ainsi un groupe avec les autres "chefs" ratés, et de le mener sur la voie de la pureté (celle qui transfigure sa merde intérieure)... La lenteur, les corps offerts, la musique symphonique, le choix ultra-imaginatif de décors et de bizarreries offrent une majestuosité hypnotique aux multiples "tableaux" qui jalonnent l'oeuvre, livrée à la satyre grotesque et à l'auto-dérision métaphorique. Ce film, avant-gardiste, s'inscrit dans une époque de libération post-colonialiste et post-industrielle - on aimerait ajouter sexuelle, mais le discours vise davantage la charge ironique contre les idéologies du pouvoir que l'explosion d'un système social hypocrite. Le pouvoir castrateur, au moins, est condamné (autant que l'Homme-objet, l'Homme-machine)... Nul sacrilège: Jodorowsky l'anti-conformiste donne une magnifique leçon de lucidité sur l'abjection des "hautes" prétentions de l'être humain et de ses phantasmes totalitaires (dont "être éternel"), totalement déconnectés de la réalité. Contre la folie, le lâcher-prise requiert l'auto-dérision pour rejoindre la "vie réelle".