Que restera-t-il dans l’avenir ? La science-fiction s’est toujours permise d’y répondre et souvent dans un axe pessimiste. Le réalisateur et animateur Katsuhiro Ōtomo, déjà triomphant avec son « Akira », s’est donc armé de plusieurs collaborateurs, afin d’en illustrer ses propos, tantôt inspirés du cinéma, tantôt d’une expérience personnelle. La recette réside donc dans l’émotion, que l’on capte avec trois styles différents et autant de récits.
Le space opera du segment « Magnetic Rose » rappelle dans un premier temps le « Solaris » d’Andreï Tarkovski et viendra tranquillement inviter le spectateur à plonger dans la démence des hommes, à la fois éboueurs et pilleurs d’épaves spatiales. En réponse à un appel de détresse, Miguel et Heintz partent explorer un vaisseau, vidé de toute présence organique. Ces derniers font face à une entité intelligente autonome, sous l’impulsion de la mémoire d’une célèbre cantatrice, Eva. Chacun devra trancher avec ses souvenirs et ses fantasmes, qui en résonnent certains, tandis que d’autres finissent par en être manipulé. La rigueur de Kōji Morimoto ne laisse pas de temps mort à cette introspection partagée. Et le trait de Satoshi Kon, qui a brillé un peu plus tôt avec son « Perfect Blue », film noir et hommage au maître du suspense, Alfred Hitchcock, vient ajouter de la matière aux décors d’intérieur, véritable musée sur le portrait d’Eva, de son vivant comme dans la mort. Personne n’est donc à l’abri derrière des failles de l’esprit, qui conditionne ses sujets à revenir vers le passé, jusqu’à ce qu’on s’y noie.
L’épisode qui suit ne prolonge pas cette virée, hors du temps et hors de notre planète bleue. Tout y est comme dans une bonne caricature et le réalisateur Tensai Okamura rebondit sur la fibre absurde et humoristique du récit. « Stink Bomb » prend ainsi le cynisme par le bout du nez, afin de l’exhiber aux yeux de la bêtise humaine. Malgré cela, seul le spectateur sera apte à reconnaître l’odeur infecte qui sillonne le road-trip improvisé de Nobuo Tanaka. Le scientifique d’un laboratoire pharmaceutique ne se rend pas compte qu’il est devenu une arme bactériologique, tandis que du côté du gouvernement et de l’armée, leur incompétence est soulignée à cache intervention. Comme pour le segment précédent, la technologie n’aide aucunement à résoudre les problèmes. Les failles de communication et l’orgueil du pouvoir font que le monde finit par s’autodétruire, dans une incompréhension générale, suffisamment drôle pour qu’on en rit et suffisamment triste quand on en mesure les conséquences.
Le dernier épisode de la série de courts-métrages, « Cannon Fodder », aura pour lui un détail qui frappe d’entrée de jeu, une réalisation en plan-séquence, pleinement supervisée par Ōtomo lui-même. Il adopte ainsi le crayon que l’on aura l’habitude de voir dans la bande dessinée européenne, afin d’accentuer la noirceur de l’intrigue et d’épaissir la brume qui encercle une ville fortifiée, ne jurant que par la répression, tantôt passive, tantôt active, sur ses habitants. Nous vivons aux côtés d’un jeune garçon le labeur quotidien pour lui et sa famille. Tous vivent pour alimenter les canons géants qui surplombent les toitures. Ces derniers sont orientés vers une cible invisible, car dans le même temps, on établit le portrait d’une société qui tient en joue le libre-arbitre, en conditionnant les plus jeunes à entretenir la mèche de leur suprématie militaire. La peur est un moteur ou alors une culture, que tout le monde semble avoir accepté, pour l’honneur de la patrie. Et pourtant, même les chefs de guerre ne correspondent pas toujours à l’image que les idoles se font d’eux, jusqu’à ce que l’on s’endorme sur une alarme, démontrant ainsi toute la perversité de la manœuvre et de son emprise sur un avenir incertain, ou pire, qui héritera de cette volonté.
Tout ce cycle constitue ainsi « Memories », une initiative de création avant tout et qui se trouve bien servi par une réflexion, que les studios japonais de ce calibre ont l’habitude d’explorer. Si l’on peut évidemment soutenir le souffle les deux derniers récits, il faut reconnaître que toute la sève du projet réside dans le premier épisode, perspicace dans sa démarche et pertinente dans le fait de l’animer à main levée. Tous auront cependant une volonté propre à son auteur, avec une narration différente selon l’exercice proposé. L’expérience vaut clairement le coup d’œil, sans préambule et sans détour.