En ayant vu pour la énième fois, "Belle de jour", je me demande à quel point ce film de Luis Bunuel, n'est pas à l'origine du "malentendu" qui existe entre le public et Catherine Deneuve et à quel point elle n'en a pas jouer! Car tout le mythe Deneuve et l'idée que s'en fait le public se nourrit de l'ambigüité entre ce qu'elle montre et expose (sa beauté éclatante, objet de désir) et ce qu'elle ne livre pas d'elle (son intimité et ses sentiments les plus profonds), porte ouverte à tous les fantasmes imaginables sur sa vie. Cette apparente froideur ou distance, dont on l'affuble, n'est en fait que de la pudeur. Car quand on connaît sa carrière, on se rend compte de ses prises de risques dans le choix de ses rôles et de son jeu incandescent qui révèle beaucoup de son caractère intense et passionné.
Le choix de Deneuve pour incarner Séverine/Belle de jour, n'était pas le choix initial de Bunuel. Aujourd'hui , il est impossible de s'imaginer une autre actrice dans le rôle, tant l'actrice semble "faire corps et âme" avec son personnage, d'où en parti le malentendu dont elle fait l'objet...
Bunuel et Carrière ont fabriqués le personnage de Séverine qui a contribuer a fabriquer le personnage public de Deneuve... qui flirte entre ce qu'elle montre et ce qu'elle ne montre pas...
Au travers de ce personnage, qui de l'extérieur est parée de toutes les vertus, Bunuel provoque et dénonce une bourgeoisie corsetée dans ses préjugés hypocrites, origine de la frustration sexuelle initiale de l'héroïne, qui ne demande qu'à exprimer désirs et fantasmes sexuels "toujours coupables" et forcément "inavouables" en réponse à une morale jugeant le plaisir comme "mauvais".
D'entrée, Bunuel nous fait pénétrer dans le monde de fantasmes de Séverine, où elle se soumet de manière masochiste à son mari... avec qui dans le réel, elle ne semble pas avoir eu de rapports sexuels... Frigide ? Certainement pas. Elle ne souhaite sûrement pas "trahir" la pureté et la force de son amour pour son mari (Jean Sorel-bien fade en face de Catherine Deneuve), car chez elle amour et désir sexuel sont en conflit permanent et cela alimente ses fantasmes masochistes.
D'un côté la Séverine amoureuse, belle, naîve, distante et de l'autre une Séverine qui ne résiste pas à ses pulsions sexuelles masochistes. D'où les aller-retour entre fantasmes et réalité.
On pourrait penser que le point de vue de Bunuel est misogyne, mais ce n'est pas le cas. Il pose simplement des questions sur le désir. Au fond, à quel point le désir des femmes, n'est il pas conditionné par le désir de domination des hommes en général ? N'est-il pas plus confortable de finalement vivre ses désirs de façon fantasmatiques dans la richesse de notre imaginaire? Etc. Quoique la fin est très ambigüe, est-ce réel ou imaginaire? Le landeau, vide, suggère la réponse...
De toute façon, bien qu'avec ce film, on parlait vraiment de sexualité pour la première fois en France, les questions posées sur le désir et le fantasme semblent bien plus importantes que l'aspect érotique, traité, lui, avec élégance et distance en privilégiant la suggestion des ébats sexuels.
Avec ce film, Catherine Deneuve, devint une star internationale, et "Belle de jour" reste l'un de ses meilleurs rôles. Bunuel la réembauchera 3 ans plus tard dans "Tristana", rôle encore plus fort et abouti.
Quant au reste de la distribution, chapeau bas à Michel Piccoli, en dandy cynique, et à Geneviève Page, éblouissante en tenancière de bordel de luxe.
Le travail d'adaptation de Jean-Claude Carrière est, comme toujours, très réussi. Mais n'oublions pas le côté esthétique de l’œuvre, particulièrement soigné (beaux contrastes de couleurs de Sacha Vierny, chef opérateur photo, faisant ressortir décors et costumes).
Une œuvre essentielle des années 60, une œuvre essentielle dans la carrière de Deneuve et de Bunuel, et une œuvre essentielle du cinéma mondial.