"L'emprise" est le premier rôle véritablement marquant de la somptueuse carrière de Bette Davis qui à 24 ans a déjà une vingtaine de films à son actif quand elle entame le tournage du film sous la direction de John Cromwell. La jeune actrice au caractère déjà bien trempé n'est pas satisfaite des scénarios qu'elle reçoit de la Warner, studio pour lequel elle est sous contrat après un court passage à la Universal. C'est John Cromwell, ami de Michael Curtiz qui la remarque alors qu'il visionne "Cabin in the Cottom" le dernier film du réalisateur hongrois dans le but de "caster" Richard Barthelmess pour un projet futur. Parallèlement, Pandro S.Berman, nouveau producteur de la RKO, cherche à acquérir les droits de "Of Human Bondage", roman de Somerset Maugham (publié en 1915) dont le premier rôle serait confié à Leslie Howard, la star du studio. Au courant du projet, John Cromwell suggère Bette Davis à Berman qui acquiesce, Katherine Hepburn, Irene Dunne et Ann Harding ayant refusé ce rôle trop réaliste et cynique propre à briser leur image glamour. Bette Davis de son côté est complètement conquise, persuadée de tenir enfin un rôle à la hauteur de ses ambitions artistiques. Ne reste plus qu'à mener le combat pour convaincre Jack Warner de la prêter à la RKO. Elle finit par obtenir gain de cause quand Mervyn Leroy exige Irene Dunne pour "Sweet Dream", provoquant ainsi l'échange des deux actrices. Le mélodrame proposé s'articulera autour de la passion
jamais payée de retour
d'un jeune homme (Leslie Howard), handicapé par un pied-bot, pour Mildred (Bette Davis), une serveuse rencontrée dans un bar de Londres où il étudie la médecine après avoir tenté vainement de percer comme peintre à Paris. La relation tout d'abord platonique qui s'instaure difficilement entre Carey (Leslie Howard) et la jeune serveuse se révèle très paradoxalement
aussi distante que vénale, prenant rapidement un caractère masochiste que le scénario explique essentiellement par le traumatisme d'un handicap jamais surmonté
. Si cette donnée n'est pas intégrée comme crédible par le spectateur,
la passivité de Carey face aux humiliations qu'il subit
sera vite agaçante et fera tomber à plat la prestation de Bette Davis, jugée alors outrancière. C'est en effet parce qu'elle a très vite compris le penchant doloriste de Carey que la jeune serveuse plutôt rustre parvient à se jouer à répétition d'un homme plus âgé et plus cultivé. Pour les autres, Bette Davis brillera de mille feux dans cette prestation qui lui apportera la première de ses nombreuses nominations à l'Oscar (9 au total pour 2 statuettes). Les erreurs de jugement de la jeune femme la conduiront jusqu'à une déchéance qu'elle acceptera avec un fatalisme qui interroge grâce à la détresse qui à intervalles réguliers embrume les yeux perçants de Bette Davis. Mais ne nous y trompons pas malgré tout, le film malgré la présence honorable de Leslie Howard, doit principalement son intérêt à l'interprétation habitée d'une très grande actrice en construction qui se fait ici la porte parole des femmes de modeste condition qui à l'époque se blessaient souvent à mort à se frotter aux messieurs des étages supérieurs. A noter enfin que si le code Hays n'est pas encore en vigueur, il est déjà dans tous les esprits, contraignant le scénariste Lester Cohen à transformer Mildred en serveuse alors qu'elle est prostituée dans le roman de Maugham.
Idem pour sa mort qui sera provoquée par une tuberculose plutôt que par la syphilis.