En 1937, Emeric Pressburger avait présenté une première version des Chaussons rouges à la demande du producteur Alexander Korda, qui souhaitait un rôle pour son épouse Merle Oberon. Découvrant la relation de sa femme avec l'acteur David Niven, il abandonna le projet. Bien plus tard, souhaitant récupérer les droits du scénario, Emeric Pressburger et Michael Powell ont dû faire preuve de ruse pour éviter de porter l'attention sur le film et l'obtenir à bas prix.
Lorsque Pressburger présenta le scénario des Chaussons rouges à Michael Powell, ce dernier accepta à la condition que l'actrice principale ne soit pas une comédienne, mais une danseuse. La rencontre de Powell avec Moira Shearer, étoile montante du ballet britannique, fut déterminante. Sa beauté, sa chevelure rousse et son jeu d'actrice ont fait pencher en sa faveur, ce qui suscita durant des années de la jalousie au sein du milieu de la danse. Réticente au début et pas vraiment attirée par le cinéma, elle finit par céder pour des raisons financières. A défaut d'être devenue une étoile, Moira Shearer sera devenue une star !
Pour le tournage du film, Michael Powell décida de retourner dans le sud de la France où il a fait ses débuts dans les studios de la Victorine à Nice en tant que comédien et assistant réalisateur.
Interprété par Anton Walbrook, le personnage de Lemertov a été inspiré de Diaghelev, l'impresario et le co-fondateur du ballet russe qui a lancé la carrière du danseur Nijinski. Mais, pour Michael Powell et Emeric Pressburger, il y a aussi un peu d'Alexander Korda, mais également un peu d'eux-mêmes dans le personnage. Même Martin Scorsese a avoué que ses rêves sont hantés par ce personnage auquel il s'identifie secrètement.
La séquence la plus connue du film est celle du ballet. 53 danseurs pour un ballet d'une durée de 17 minutes. De l'ouverture jusqu'à la baissée du rideau, le spectateur du film est aussi spectateur du ballet.
La préparation des Chaussons rouges a connu de nombreux orages. A commencer par le licenciement du musicien Allan Gray, fidèle collaborateur de Michael Powell et Emeric Pressburger, tenu de composer la musique du ballet du film. Déçus par le résultat, les réalisateurs l'ont remplacé par Brian Easdale, qui n'avait alors plus que trois mois pour écrire la totalité de la partition. Le décorateur Alfred Junge s'est également fait congédié et remplacé par le peintre Hein Heckroth. C'était la première fois qu'un peintre a créé le décor d'un film. En six semaines, il réalisa 120 peintures pour illustrer la décoration du ballet.
Ce changement donnera lieu à deux oscars, l'un pour la musique, l'autre pour le décor. Comme quoi changer a parfois du bon !
En voyant le film, les financiers ont été déçus. Le trouvant inintéressant, ils refusèrent de le sortir en salles. Les Chaussons rouges a seulement eu droit à une simple séance de minuit et aucune affiche n'a été réalisée pour l'occasion.
A sa sortie, la presse a rejeté le film qu'elle considérait trop dur. Selon elle, l'histoire des Chaussons rouges est destinée à un public de jeunes filles. Pourtant, dans la version de Hans Christian Andersen, l'héroïne se fait trancher les pieds par la hache d'un bucheron pour qu'elle cesse de danser. En réalité, l'adaptation du conte d'Andersen est bien moins violente et paraît aujourd'hui bien dérisoire.
William Heinmann, dirigeant d'un petit cinéma à New York, adorait le film et a obtenu les droits pour le diffuser aux Etats-Unis. Le film a eu un tel succès qu'il resta à l'affiche pendant deux ans, obligeant les producteurs britanniques à le ressortir. Les Chaussons rouges est devenu l'un des plus grands films à succès du cinéma de variété. Au delà, il représente aujourd'hui un classique, une référence pour des réalisateurs comme Steven Spielberg, Francis Ford Coppola et Martin Scorsese.
L'actrice Moira Shearer a été constamment suspendue par des cordes, placée devant des ventilateurs géants et courbée dans les positions les plus inattendues pour tourner les plans imaginés par Michael Powell. Au bout de la première journée de tournage, elle avait reçu un coup de soleil suite à l'exposition prolongée aux réflecteurs, en plus d'une ampoule au dos, d'égratignures qui sont devenues des abcès et d'une grave lésion au cou.
Les Chaussons rouges a été élu le 9e meilleur film britannique du XXe siècle d'après un sondage élaboré par le British Film Institute auprès d'une centaine de professionnels du cinéma.
Trente ans après la sortie du film, Michael Powell et Emeric Pressburger se sont réunis encore une fois afin de publier un roman inspiré des Chaussons rouges, dont l'action se passe en 1920.
Christopher Challis, qui avait déjà travaillé en tant qu'opérateur de caméra à côté de Michael Powell, Emeric Pressburger et Jack Cardiff, venait de finir sa formation de directeur de la photographie quand le projet des Chaussons rouges a été annoncé. Cherchant à profiter de l'opportunité rare de retrouver le trio dans un tournage, Challis a accepté de prendre part à ce projet, en endossant la fonction d'opérateur pour la dernière fois de sa carrière.
Les Chaussons rouges a inspiré une comédie musicale à Broadway mise en scène par Stanley Donen (réalisateur de Chantons sous la pluie), un ballet irlandais intitulé Diaghilev And The Red Shoes, une exposition photographique d'Alex Prager, un album rock de la chanteuse Kate Bush (dont le nom est précisément The Red Shoes) et même une tiare en chocolat conçue par le chocolatier belge Dominique Persoone et ornée d'une photographie de Moira Shearer.