Wyoming, 1963. Jack et Ennis ne se connaissent pas quand ils sont engagés pour garder des moutons dans la montagne durant un été. Jack est brun, volubile, amateur de rodéo. Ennis est blond, taiseux, et fiancé à Alma. Ils vont se découvrir au rythme des tâches répétitives de leur estivage ; Jack dort au campement, tandis qu’Ennis protège le troupeau de l’attaque des coyotes dans l’alpage. Jusqu’au jour où ils dorment ensemble, et que leur amour se révèle, immédiatement, physiquement, presque brutalement.
A leur redescente dans la vallée, chacun reprend sa route. Pas question d’affirmer son homosexualité dans cette société de cow-boys, frustres et virils. Ennis reste dans le Wyoming et se marie avec Alma, ils ont deux filles. Jack court les rodéos, et rencontre au Texas Lureen, la fille d’un riche marchand de matériel agricole qu’il finit par épouser. Au bout de quatre ans, ils se retrouvent et repartent quelques jours vivre leur amour à Brokeback Moutain. Pendant vingt ans, ils répèteront ces parties de pêches dont ils reviennent toujours sans poisson…
Jack dit oui à tout le monde, à son beau-père tyrannique, à sa femme… Ennis ne sait que dire non : à Jack, à sa femme, à sa fille. Et si l’un réussit socialement alors que l’autre devient un de ces laissé-pour-compte de l’Amérique profonde, tous deux partagent la souffrance de ne pas pouvoir s’aimer au grand jour et de se voir gâcher leurs vies.
Lion d’or à Venise, vainqueur de quatre Golden Globe et favori pour les oscars, ce film est promis au succès. Longtemps interdite, puis réservée au cinéma indépendant, l’évocation de l’homosexualité est aujourd’hui suffisamment vendeuse pour attirer Hollywood. Mais la force de ce film est justement de traiter cette histoire comme n’importe quel mélodrame romantique, au même titre que «Sur la route de Madison» ou «Ecrit sur du vent». Et la réalisation ultra classique de Ang Lee fait appel à tous les codes, non pas tant du western que du film du grand ouest, plus «Jérémiah Johnson» ou «Légendes d’Automne» que «Rio Bravo» ou «La Poursuite Infernale».
Pourtant, malgré tous ces ingrédients, on a du mal à rentrer dans leur histoire. Peut-être parce que la psychologie des personnages n’est qu’effleurée ; il faut dire qu’Ennis frise l’autisme, et qu’à côté de lui, Clint Eastwood dans ses rôles les plus taciturnes est une vraie pipelette ! Il est difficile de raconter vingt ans en deux heures. Ang Lee ne s’attarde pas sur les événements, élude plus qu’il ne fait appel à l’ellipse, il reste à distance, et le spectateur ressort avec de nombreuses questions tant sur les personnages que sur certains éléments clés de l’action.
C’est le début qui est le plus réussi. L’attente avant l’embauche, la montée vers l’alpage, la rencontre avec un ours, tout cela nous est dévoilé avec brio, par petites touches nerveuses. Malheureusement, ce rythme s’essouffle et la routine de leur vie s’impose au film lui-même. Malgré une image superbe magnifiant les paysages des Rocheuses et une réalisation léchée, «Brokeback Moutain» laisse un goût d’inachevé et de distance que le spectateur ne se sent pas autorisé à franchir.
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