C'est dans un luxueux appartement de Tokyo qu'une réunion a lieu entre divers membres importants d'une fabrique de chaussures. C'est aussi à ce moment-là que l'on annonce que le fils de l'un d'eux a été kidnappé.
C'est d'abord au cœur d'un appartement de Tokyo que nous entraîne Akira Kurosawa avec Entre le ciel et l'enfer, un appartement où une réunion va être interrompue pour annoncer l'enlèvement du fils de l'actionnaire principal, point de départ d'une oeuvre divisée en trois actes. Mettant d'abord ses protagonistes face à l'enlèvement et la façon dont, avec la police, ils vont le résoudre, il s'intéresse après à l'enquête en question, en rapport avec les énormes enjeux financiers de la boîte puis enfin dans les bas-fonds et l'obscurité de Tokyo. C'est dans la noirceur que Kurosawa puise pour mettre en scène son récit, une noirceur que l'on retrouve à tous les niveaux mais surtout dans l'humain et sa nature.
D'abord un bijou d'écriture, Entre le ciel et l'enfer met en scène une intrigue parfaitement bien ficelée, sombre et audacieuse, sachant nous entraîner dans divers ressorts scénaristiques inattendus mais très bien gérés. D'une incroyable justesse, les personnages sont consistants, notamment le chef d'entreprise et Kurosawa arrive à en tirer l'ambiguïté, l'humanisme de certains ou la noirceur pour d'autres. Il alterne bien entre l'intrigue, les personnages et ses thématiques sociales et nous plonge au coeur d'une société japonaise corrompue et de plus en plus inhumaine et met en opposition le ciel, symbolisé les hommes d'affaires en haut de leur gratte-ciel et l'enfer lorsqu'il nous plonge dans les bas-fonds miséreux de Tokyo. Il met l'homme face à ses peurs, inquiétudes, morales et étudie le comportement de chacun lorsqu'ils seront face à d'importants dilemmes.
Passant d'un inquiétant et étouffant huis-clos aux bas-fonds de Tokyo, Kurosawa orchestre son récit avec talent, passant bien d'un personnage et d'un thème à un autre, ne commettant aucune faute de rythme et nous transportant aux plus près des protagonistes. Il met en place une atmosphère sombre, inquiétante et oppressante, capable de faire ressortir toute la profondeur des personnages et enjeux et nous immergeant au mieux dans ce Tokyo qui fait froid dans le dos. Tendu de bour en bout, il n'oublie pas non plus l'intensité dont les sommets sont des modèles du genre et nous tient en haleine toute la durée du récit. Devant la caméra, les interprétations sont excellentes et en particulier l'acteur fétiche de Kurosawa, Toshirô Mifune dans la peau de Gondo.
Tout en livrant un inquiétant et effrayant constat social sur le Japon, Kurosawa met en place une intrigue redoutablement bien ficelée et sonde l'âme humaine et ses ambiguïtés à travers une oeuvre sombre, oppressante, faisant froid dans le dos et tout simplement brillante.