Certes, qui suis-je pour juger si sévèrement cette adaptation ciné du chef-d'oeuvre de James Ellroy alors que le Dog l'a qualifiée dans la postface de la récente réédition du livre de "grand film" ? Qui suis-je pour contredire un homme qui a tant mis de lui-même dans l'écriture de son roman qu'on ne peut lui renier un droit de regard et de jugement privilégié sur sa transposition sur grand écran. De plus, Le Dahlia Noir et son histoire sont si liés à la vie de James Ellroy que je doute que le romancier ait menti en valorisant le film pour des raisons publicitaires. Mais l'oeuvre de De Palma travestit si honteusement la sienne que j'ai du mal à comprendre comment il peut l'apprécier. Sans doute est-ce du à l'importance des thèmes et des personnages, évidemment communs aux deux supports, et au fait que ceux-ci concernent Ellroy de si près que leur mise en images n'a pu que le toucher. Parce qu'objectivement, je donne raison au public (une partie de la presse est étonnamment clémente) qui a sanctionné le film à une quasi-unanimité. Le plus grand massacre du Dahlia noir version cinématographique n'est en effet même pas celui d'Elizabeth Short, jeune femme retrouvée sauvagement assassinée et mutilée dans le Los Angeles d'après-guerre, affaire sur laquelle aucune lumière n'a été faite. Le vrai massacre est plutôt cette adaptation d'un grand roman noir en un ratage artistique notable. Une mauvaise surprise sidérante, tant le cinéma de De Palma, obsessionnel et autoritaire, semblait à merveille en mesure de nous faire partager le pouvoir accaparant du Dahlia Noir et les liens inconscients qu'elle entretient avec chaque homme, d'où naissent une emprise macabre. Pourtant les faits sont là, et le ratage est autant narratif qu'artistique. Au départ fidèle, le scénario déçoit quand même rapidement pour cause d'une durée trop courte, qui rend impossible tout effet de vortex macabre semblable à celui du roman (dans la même ligne d'idées, la B.O., très médiocre, manque d'un thème récurrent pour mener le bal). Dans sa première partie, l'histoire fait donc l'effet d'un ersatz de celle d'Ellroy, qui n'en possède ni le souffle, ni les sursauts, ni la densité. Les raccourcissements y semblent quand même acceptables, jusqu'à ce que le manque de temps conduise à des coupes aliénantes qui détruisent la stabilité de l'oeuvre. Le pire, c'est que si ce qui est raconté n'est pas fidèle et bien moins puissant, il est raconté de manière maladroite ; les nombreux fondus et balayages donnent peut-être un rendu "livresque" mais instaurent surtout des coupures qui cassent le rythme et détruisent l'ambiance. Le pire ai-je dit ? Pardon, le pire est en fait la faiblesse de la narration, bâclée au possible, qui oblige à une voix-off et des flash-backs lourdingues pour révéler les twists sans le moindre impact. Le canevas fonctionne donc en vase clos, incapable d'impliquer le spectateur. Bref, Le Dahlia Noir était inadaptable en deux heures, cela ne me surprend pas. Mais ce qui fait le plus mal, c'est de voir De Palma échouer artistiquement de la sorte. Le réalisateur de Scarface et L'Impasse essaye bien de jouer des clairs-obscurs, mais sans réussite, et question cadrage, il sombre parfois dans l'auto-parodie. Il commet aussi l'erreur de négliger Los Angeles, ville-personnage omniprésente au sein de l'écriture d'Ellroy. Résultat : Le Dahlia Noir manque de présence, un comble pour un film noir adapté d'un roman désespéré et quasi-crépusculaire. Le casting est lui-aussi à côté de la plaque, quoi que mes réticences soient beaucoup moins marquées de ce côté là. Josh Hartnett saisit plutôt bien les nuances, et rend de façon convenable le mélange de naïveté et de subtilité étonnant de Bucky Bleichert. On regrettera donc qu'il manque si souvent de tripes. Scarlett Johansson s'en tire mieux, une ou deux répliques consternantes mises à part. Aaron Eckart m'a bien plus satisfait, se démenant joliment pour rendre un Lee Blanchard convenable. J'aurais pourtant si bien vu Russel Crowe dans la peau de cet homme brisé au bord de la rupture, malgré des apparences de force charismatique et souveraine. D'autant que Crowe dans L.A. Confidential, c'était quand même quelque chose... dommage, Russel était sans doute trop vieux, 9 ans plus tard, pour s'afficher au casting d'une nouvelle adaptation de James Ellroy dans la peau d'un agent du L.A.P.D. en pleine force de l'âge. Enfin de toute façon, même une prestation époustouflante n'aurait pu faire oublier une famille Sprague/Linscott complètement hors-sujet. Consternant ! Bref, une déception de taille, qui ne manquera pas de remettre en lumière le mérite de Curtis Hanson pour avoir fait de la transposition ciné d'un livre d'Ellroy une réussite incontestable. En attendant, il n'empêche que Le Dahlia Noir by De Palma est bien sacrément vénéneux, mais pas pour les raisons escomptées : parce qu'en vous spoilant le gros de son intrigue, il pourrait diminuer l'impact de sa version papier et vous faire passer à côté d'un chef-d'oeuvre. Un naufrage pur et simple.