Comme Heat, modèle revendiqué par Olivier Marchal, 36 est un face-à-face entre deux grands acteurs : si Michael Mann avait convoqué Robert De Niro et Al Pacino, le cinéaste français a fait appel à Daniel Auteuil et Gérard Depardieu. Avant d'incarner les deux flics rivaux du Quai des Orfèvres, ces deux monstres sacrés avaient partagé l'affiche de deux grands succès du cinéma français, chacun dans son genre : Jean de Florette, le drame de Claude Berri (1986) et Le Placard (2001), la comédie de Francis Veber.
Olivier Marchal évoque ses intentions et ses influences : "Je voulais faire un film sur la descente aux enfers d'un grand patron du 36 Quai des Orfèvres. Une sorte de Comte de Monte-Christo moderne avec l'univers de la police en toile de fond et les grands thèmes de la tragédie : amitié, amour, trahison et vengeance. L'ambition était également de faire un Heat à la française. Michael Mann est avec Sergio Leone, Mike Figgis et Michael Cimino un des réalisateurs que j'admire le plus au monde. A ce titre, Heat est pour moi un modèle, tant par le travail de direction d'acteurs que par l'esthétisme des images et la virtuosité de la mise en scène." Ajoutons, à propos de la référence à l'oeuvre de Dumas, que le personnage de truand joué par Olivier Marchal s'appelle Christo...
Ancien flic, le réalisateur s'est inspiré pour son film de deux affaires qui ont secoué le monde de la police au milieu des années 80. La première est une opération visant à démanteler le Gang des postiches et qui s'est soldée par un fiasco : prévenues d'une prise d'otages dans une banque rue du Dr Blanche, la BRI (Brigade de Recherche et Intervention) et la BRB (Brigade de Répression du Banditisme) attendaient la sortie des truands pour les prendre en filature. Mais un chef de service de la BRB a choisi de tirer sans sommation ("pour se faire mousser", commente Olivier Marchal). Au terme d'une terrible fusillade, un policier, Jean Vrindts, et un voyou ont été tués, ce qui provoqua un mouvement de fronde au sein de la PJ. Dans 36, on assiste également à une arrestation qui tourne à la bavure, et le personnage joué par Depardieu est directement inspiré du commissaire de la BRB responsable du dérapage de la rue du Dr Blanche.
Après la fusillade de la rue du Dr Blanche, le climat était d'autant plus tendu au 36 Quai des Orfèvres que venait de se produire l'affaire du "gang des ripoux" : une équipe de policiers, appartenant pour la plupart à la brigade d'élite, s'était livrée à diverses malversations. Une liste de "flics ripoux" a fini par circuler, et le nom de Jean Vrindts, tué lors de la bavure, avait été cité, ce qui a ravivé la révolte des policiers, accusant l'administration de vouloir "couvrir" cette bavure en mettant en cause leur collègue. Sur cette "liste noire" figurait aussi le nom de Dominique Loiseau qui ne cessa de clamer son innocence, mais fut néanmoins condamné à douze ans de réclusion criminelle en 1990, avant d'être gracié en 1993 -il n'y eut pas d'autre condamnation dans cette affaire...
C'est en 1994 qu'Olivier Marchal a eu l'idée de 36 : "A l'époque, j'avais été engagé comme comédien dans un téléfilm où je jouais un flic de l'antigang au côté de vrais flics de la BRI qui faisaient de la figuration, se souvient-il."J'avais fait la connaissance de l'un d'entre eux, Didier Maury, qui connaissait Dominique Loiseau, qui avait participé comme lui à l'opération de la rue du docteur Blanche et avait été pris en otage par les Postiches (...) Didier a ensuite vécu les événements consécutifs à la bavure (...) et il a quitté la police. Il ne s'est jamais vraiment remis de cette histoire. Aujourd'hui il est chef d'entreprise. Et il a fait de la figuration dans mon film (...) Il était d'ailleurs très ému le jour où nous avons tourné la séquence de la bavure à Saint-Ouen."
Reconverti dans le nautisme, Dominique Loiseau a été chauffeur régie sur le tournage de 36, et a collaboré au scénario. "Mon film lui est dédié, ainsi qu'à Christian Caron, alias "Kiki" Caron, un flic abattu en opération le 31 août 1989 lors d'une intervention du Raid. Ancien flic del'antigang et ami de Dominique Loiseau, Christian Caron était l'une des figures du 36. Affecté au Raid où il était chef de groupe, c'est lui qui a été mon formateur pendant mon stage de présélection à cette unité d'élité."
Le cinéaste revient sur le choix des deux comédiens principaux : "Au départ, j'avais envoyé le scénario à Daniel Auteuil pour le rôle de Klein. Je trouvais que ça pouvait faire un contre-emploi très intéressant. Daniel avait rappelé en disant qu'il était d'accord pour le faire. Puis les deux acteurs envisagés successivement pour le rôle de Vrinks m'ayant dit non, j'ai demandé à Daniel s'il était d'accord pour changer de personnage. Ce qu'il a accepté immédiatement. Ensuite, nous avons cherche le "Klein" à lui mettre en face. Après plusieurs hésitations, le nom de Depardieu est apparu comme une évidence. Il m'a dit "ce personnage est entre le "Mangin" de Police de Maurice Pialat et le Léopold d'Uranus de Berri." C'était exactement ça."
Pour l'écriture du scénario, Olivier Marchal s'est adjoint les services de Franck Mancuso et Julien Rappeneau. Fils du cinéaste Jean-Paul Rappeneau, celui-ci a déjà co-écrit le script de Bon voyage, mais aussi, dans un genre différent, de la comédie Mais qui a tué Pamela Rose ?. Il aura fallu deux années, et une dizaine de scénarios, pour achever l'écriture de 36.
Tous les figurants de la scène du repas de brigade sont en fait de vrais policiers. Parmi eux figurent Simon Michaël, Michel Alexandre et Philippe Isard, trois anciens de la PJ qui, comme Olivier Marchal, se sont reconvertis dans le cinéma. Le cinéaste revient sur la préparation de cette scène : "Pour que l'ambiance de cette séquence soit réaliste, j'avais demandé à l'accessoiriste Olivier Crespin de verser du vrai whisky et du vin dans les verres. Au bout de deux heures, les esprits étaient bien "chauds" et tous mes flics se sont mis à improviser et à chanter (...) Ce jour-là, nous avons reçu la visite de Michel Vaujour [ancien taulard dont la tentative d'évasion par hélicoptère avec la complicité de sa femme, en 1986, est entrée dans la légende] venu saluer son ami Dominique Loiseau. Tous deux ont gardé une relation très forte qui date de la prison où ils se sont rencontrés."
Le personnage interprété par Daniel Auteuil est un amalgame de plusieurs personnes qu'a bien connues l'ancien flic Olivier Marchal. Son histoire est par certains aspects comparable à celle de Dominique Loiseau, par exemple en ce qui concerne sa confrontation avec le juge ("Dominique a été victime d'un juge semblable à celui que je dépeins dans 36 (...) un anti-flic primaire qui l'a coupé de sa famille et de ses proches pendant plusieurs mois (...)", explique le cinéaste). D'autre part, le nom du personnage (Leo Vrinks) rappelle celui du policier tué lors de la fusillade de la rue du Dr Blanche (Jean Vrindts). Mais le réalisateur révèle qu'il s'est en fait inspiré d'un troisième individu : "un de mes patrons que j'avais connu à la 5ème division de police judiciaire et qui a fini numéro 2 à la BRI avant de se retrouver lui aussi en prison pour avoir couvert un de ses indics sur une affaire de livraison de drogue. Là aussi une sombre affaire de rivalités entre services dont ce patron a fait les frais. On le surnommait "Fifi l'élégant". C'était un flic qui avait de la classe, un beau gosse qui avait grandi à Belleville avec les voyous."
Le rôle de Titi Brasseur est tenu par Francis Renaud, qui fut le partenaire d'Olivier Marchal dans la série Police district et apparaissait au générique de Gangsters, le premier long-métrage de l'acteur-réalisateur. Il avait été remarqué dans Pigalle de Karim Dridi et Parfait Amour de Catherine Breillat.
Le cinéaste évoque les relations parfois conflictuelles entre les flics de la BRI et ceux de la BRB : "Pour moi, Vrinks et Klein sont deux flics qui ont été à l'école de police ensemble, qui ont gravi les échelons ensemble et qui ont atteint les mêmes sommets : l'un à la BRI, l'autre à la BRB. Et c'est là que leurs routes se sont séparées. A mon époque, les flics de la BRI étaient très jalousés de par leur statut de "superflics" (...) A côté d'eux, les flics de la BRB restaient dans l'ombre à se taper le travail d'enquête, les procédures et la paperasse sans avoir droit aux commentaires de leurs exploits dans la presse (...) Maintenant il est vrai que les temps ont changé. Les deux services se sont rapprochés"
Plusieurs épisodes insolites de 36 reposent sur des faits authentiques, notamment la scène au cours de laquelle le jeune flic Titi Brasseur, mécontent, urine sur son patron. L'anecdote concerne "un autre flic, complètement bourré, qui l'a fait au cours d'un pot. Bien sûr, le type s'est fait virer", révèle Olivier Marchal qui poursuit : "Autre anecdote vraie : la plaque "Quai des Orfèvres" dévissée du mur et offerte à l'occasion d'un pot de départ à la retraite. Et aussi, le concours de tir sur la souris, dans le bar."
En 2003 - 2004, en l'espace de quelques mois, Valeria Golino, actrice italienne à la carrière internationale, a tourné trois films en France : Alive, San Antonio et 36 quai des orfèvres. Celle-ci confie : "J'aime travailler dans ce pays. Je trouve que la France traite le cinéma et la culture en général comme aucun autre pays en Europe. Ici, les artistes et leurs oeuvres sont vraiment défendus, placés au centre de la vie. Toutes ces expériences m'ont donné envie de venir m'installer quelque temps ici et d'y faire le plus de choses possibles."
C'est en voyant Mélodie pour un meurtre avec Al Pacino et Ellen Barkin qu'Olivier Marchal a eu l'idée d'écrire le personnage que joue dans 36 Valeria Golino, celui d'une femme qui a partagé la vie d'un flic puis est tombée amoureuse d'un de ses coéquipiers.
La fille de Leo Vrinks adolescente est interprétée par Aurore Auteuil qui est dans la vie la fille de Daniel Auteuil. On l'avait déjà aperçue dans quelques séries télévisées (notamment... PJ) ainsi que dans Nathalie... d'Anne Fontaine.
La musique de 36 a été composée par Erwann Kermorvant et Axelle Renoir. Espoir de la chanson française apparue au milieu des années 90 (avec notamment le titre La Cour des grandes), elle avait signé la bande originale des Jolies Choses de Gilles Paquet-Brenner.