Poupées russes.
Je viens de visiter Saint-Petersbourg, pour la première fois que je mettais les pieds en Russie. Du coup, j'ai lu pendant le voyage, le Roman Russe d'Emmanuel Carrère. Lequel Carrère passait à Lyon cette semaine: interview éclairante par Thierry Fremaux à l'Institut Lumière: "on a des clichés sur les russes, eh bien, ils sont en général très justifiés!" ou bien "les russes aiment bien faire peur aux autres peuples, et donc tiennent à l'affichage de leur puissance...Poutine dans ce sens leur va bien". Et de présenter le film dont il est question dans le livre: Retour à Kotelnitch, sorti en 2003 c'est à dire hier.
Ce film-documentaire tourné en 35 mm est un objet rare, atypique, touchant, non pas parce que les comédiens sont bons, mais parce que la caméra enregistre des vrais gens dans la Russie profonde d'aujourd'hui à qui sont arrivés des événements tragiques on ne peut plus réels. Ce n'est pas la fiction cinématographique comme dans le Léviathan ou l'Idiot, mais notre sidération vient de ce qui arrive à ces habitants ordinaires, deux meurtres, probablement commandités, de personnes que l'équipe de Carrère avait filmées quelques mois auparavant (une jeune mère et son bébé).
Sa propre rédemption par rapport à l'histoire occultée de son grand-père russe, après sa disparition soudaine en 1944, pour faits probables de collaboration, devient accessoire par rapport au drame de cette famille décimée. On y voit ainsi deux sœurs, ayant eu six enfants, dont cinq sont décédés de mort violente!!! Carrère assiste ébahi à ce pur drame dans lequel il se trouve témoin privilégié et voyeur. Il en avale force vodkas cul-sec, comme tout le monde... Il sait qu'il n'est pas un grand cinéaste, mais il nous fait passer avec force l'amour qu'il a ressenti pour les êtres humains qu'il a côtoyés dans cette petite ville inconnue des plaines vers l'Oural, à 800 kms de Moscou. Son sang partiellement russe ne fait qu'un tour.
Alors je me replonge dans la lecture du roman de Saint-Pétersbourg de Vladimir Fedorovski et me dis que le Barbier de Sibérie, vu la semaine dernière, a complété de façon cohérente un premier portrait en kaléidoscope de cet empire que l'on a cru abattu lors de la chute du mur de Berlin en novembre 89. Napoléon, et Hitler avaient cru également possibles de conquérir la Russie. Allez sur place, on vous rappellera très vite que la résistance du peuple russe - hommes ou femmes indistinctement- est inépuisable.
Que me réserve l'ouverture de la prochaine poupée russe?
Cinéma - mars 2016