Réalisé exclusivement par une équipe de blacklistés ou d’indésirables auprès du système hollywoodien, «Salt of the Earth» (USA, 1954) d’Herbert J. Biberman, par cette condition de production, mais aussi par les roueries dont l'équipe du film a du faire montre pour déjouer les surveillances de l’Etat américain au Mexique, se révèle une oeuvre d'importante valeur. Grandement nourrie par l’esthétique soviétique, notamment celle d’Eisenstein, la réalisation de Biberman, communiste américain et défenseur des droits sociaux, organise le monde comme une icône à travers laquelle circulent les méfaits des injustices. La dénonciation que revendique le film ne se construit pas sur la seule rhétorique de la révolution. Biberman et ses collaborateurs ne dirigent pas «Salt of the Earth» vers la propagande de son message. Pour parer à cela, les scénaristes M. Biberman et M. Wilson décident, en milieu de film, de faire basculer la lutte des classes en lutte des sexes. La corrélation qu’entretiennent ces deux combats évoque les œuvres d’autres cinéastes révoltés, Bunuel ou Eisenstein pour citer les meilleurs. Cette ambivalence de la lutte, qui se joue sur deux terrains, sociaux et génériques, exhume un sentiment de révolte et exalte une propension à la contestation. La composition des plans puis le montage du film lui permet d’acquérir une dynamique bien calée. Film etats-uniens porté sur une minorité américaine, il applique la pensée marxiste au niveau de sa production et à l'échelle de ce qu'elle donne à voir et à penser. Son statut inouïe, constitué par des contraintes drastiques qui ont dépassé le cadre de l'industrie hollywoodienne pour atteindre le cas d'affaire du F.B.I., permet à la réalisation de Biberman de défendre poing levé image dressée un regard singulier, en son lieu et en son époque, de l'Amérique. Les faux raccords, alimentant l'esthétique rossellinienne et préfigurant les accidents formels de Godard, participent à l'anticonformisme de la réalisation.