Il en est de Michael Moore comme du Beaujolais Nouveau : hier très tendance, aujourd'hui légèrement ringardisé. Pourtant, le millésime 2007 du Moore Nouveau présente toujours les mêmes qualités que le célèbre primeur : pétillant, festif et rond en bouche, mais ne résistant pas au vieillissement. Il est donc aujourd'hui de bon ton de décrier ce qui était encensé il y a trois palmes d'or, à savoir la présentation manichéenne des enjeux, la partialité dans le montage des interviews et des extraits d'archives, et une solide dose de mauvaise foi dans le commentaire, sans oublier une mise en avant légèrement mégalomaniaque du producteur-réalisateur-commentateur.
Rassurez-vous, tous ces ingrédients sont présents dans "Sicko", et ce dès la scène inaugurale, celle du pauvre Adam obligé de se suturer lui-même son entaille au genou, suivi d'une déclaration de Georges W. déplorant que trop de bons toubibs n'ont pas de travail. Puis la caméra de Michael Moore s'insinue dans de nombreuses familles bouleversées par la maladie, filmant avec insistance les enfants en train de pleurer. On retrouve ensuite le détournement burlesque d'images d'archives soviétiques des années 30, de séries B des années 50 ou d'extraits d'émissions de télévision.
Pourtant, au-delà de ces facilités, il y a une force de conviction qui fait qu'on oublie assez vite ces trucs pour s'intéresser au fond. Peut-être parce que Michael Moore porte le projet de "Sicko" depuis 1999, depuis qu'il avait obtenu dans son émission The Awful Truth le financement d'une greffe d'organe. Ce projet, repoussé par le massacre de Columbine et le 11 Septembre, a eu le temps de mûrir, et quand Michael Moore a passé une annonce sur son site pour avoir des témoignages de gens interdits de soins par les compagnies d'assurance privées, il a reçu 25 000 messages en moins d'une semaine.
La succession de témoignages de malades qui ont perdu des proches parce que les compagnies ont refusé une opération, ou exigé un transfert dans un hôpital de la compagnie, ou celui de cet homme s'étant sectionné les deux doigts à qui on donne le choix de celui à sauver pour 12 000 ou 60 000 $, tout cela fait froid dans le dos, comme le cynisme du système qui offre aux médécins un intéressement personnel proportionnel aux économies faites pour la compagnie.
"Sicko" est un film destiné au public américain, et si il a mis cinq semaines à faire aux Etats-Unis l'équivalent des recettes de "Farenheit 9/11" en première semaine (22 millions de $), il semble qu'il soit au centre de nombreux débats à un an des élections présidentielles. La présentation idylique des systèmes de protection sociale canadien, britannique et français peut parfois prêter à sourire. Ainsi la présentation du système de soins hexagonal est fait par des Américains résidents en France, et leur description féérique des Urgences ne correspond pas aux longues heures d'attente que j'ai pu faire partout en France lorsque j'étais directeur de colos.
Je me suis senti dans la peau d'un enseignant Finlandais gêné de voir les équipes de télévision française défiler dans son établissement pour filmer la meilleure école du monde, et le sens du raccourci et de l'amalgame consubstantiel au système Moore risque de laisser penser aux Etats-Uniens que tout Français qui a besoin d'une lessive se verra affecter une aide ménagère.
Parti d'une idée provocatrice et absurde comme les affectionne Michael Moore (emmener des sauveteurs du 11 septembre laissés sans soin à la prison de Guantanamo présentée par l'administration Bush comme un lieu où les soins les plus modernes sont donnés aux détenus), le voyage à Cuba passe sous silence l'intérêt propagandiste que la dictature castriste a certainement dû trouver à soigner des "héros" américains. Mais j'en retiens surtout le bouleversement et l'écoeurement de cette infirmière new-yorkaise quand elle découvre que le médicament qu'on lui fait payer 120 $ aux Etats-Unis coûte 5 cents à La Havane.
Et puis, après la scène du président hébété dans son école de Floride au matin du 11 septembre, Michael Moore nous offre une nouvelle Busherie : quand une femme lui dit qu'elle a trois emplois différents, George W. s'exclame : "C'est formidable ! Il n'y a qu'aux Etats-Unis qu'on peut voir ça!'. En effet...