Adapter à l'écran les classiques de la littérature enfantine semble à la mode ces derniers temps : "Charlie et la Chocolaterie", "Le Petit Nicolas", et maintenant le conte de Maurice Sendak de 1963, certainement dans le top ten des B.C.D. des maternelles. Cette histoire d'un enfant tyrannique parce que malheureux et apeuré qui s'invente des monstres représentatifs de ses colères et de ses angoisses a très vite rencontré un grand succès auprès des enfants, et peut-être surtout, des adultes soucieux de donner à lire aux bambins ce livre exutoire.
Quand j'ai appris que l'auteur de "Dans la Peau de John Malkovitch" allait s'attaquer à son adaptation, je m'en suis réjoui car je pensais qu'on allait être dans le cas de "Charlie et la Chocolaterie" beaucoup plus que dans celle du "Petit Nicolas", à savoir l'appropriation de l'oeuvre d'un artiste par un autre artiste. Et puis, je me suis aussi dit que Spike Jonze avait dû suffisamment s'interroger au préalable sur la démarche de l'adaptation d'une oeuvre littéraire, puisqu'il en avait justement fait le thème de son deuxième film.
Après la vision du film, la déception prédomine, signalée par un incommensurable ennui. Il m'a fallu quelques temps pour comprendre pourquoi le soufflé était à ce point retombé, car on ne peut pas faire grief d'une trahison à la dimension graphique de l'adaptation : tout, de la dégaine de maximonstres jusqu'au costume de Max et à sa couronne, en passant par le voilier, tout est fidèle à l'original. Non, la racine du hiatus se trouve dans la transcription à l'écran du texte de Maurice Sendak.
Le texte de l'album compte exactement 353 mots pour 40 pages ; la rencontre de Max et des maximonstres se fait en une soirée, et elle se résume à ce passage : "« Vous êtes terrible, vous êtes notre roi », « Nous allons faire une fête épouvantable » déclara le roi Max. « Ca suffit » dit Max brusquement. « Vous irez au lit sans souper ». Max, roi des Maximonstres, resta seul. Une envie lui vint d’être aimé, d’être aimé terriblement. De loin, très loin, du bout du monde, lui venaient des odeurs de choses bonnes à manger. Max renonça à être roi des Maximonstres."
Ces quelques lignes ont été diluée, étirée en une heure de film ; il a fallu donner à chaque maximonstre une personnalité, une place dans le groupe, une histoire. Et c'est là où le bât blesse : cette personnalité a été définie avec une volonté explicative à peine déguisée, afin de mettre en abyme de façon didactique les émotions de Max. La force du récit de Maurice Sendak réside dans la brutalité enfantine de ces terreurs ; dans le film, elle semble décryptée par un psychiatre qui aurait écrit une analyse psychanalytique du livre.
Comme exemple de la différence dans le traitement du récit, citons le voyage de Max jusqu'à l'île. L'album dit : "Ce soir-là, une forêt poussa dans la chambre de Max. D’abord un arbre, puis deux, puis trois, des lianes qui pendaient du plafond, et au lieu des murs, des arbres à perte de vue. Un océan gronda, il portait un bateau qui attendait Max." : tout se passe dans la chambre où Max est consigné. Dans le film, il s'échappe et traverse la ville jusqu'à la mer où attend le bateau. Volonté d'étirer le récit ou contresens, ou les deux : ce n'est pas la même chose, et l'enfant boudant dans sa chambre et évacuant sa peur à coup de jeu symbolique devient un enfant-tyran qui donne envie de justifier les décrets sécuritaires des maires instaurant le couvre-feu pour les mineurs dans leurs communes.
Pire, il se dégage de l'ensemble, en plus de l'ennui, un sentiment de malaise souligné par de nombreux spectateurs dans les avis donnés sur des sites comme allociné, et je partage cette impression. Je me suis interrogé pour savoir si c'était volontaire de la part de Spike Jonze, afin de représenter les terreurs de Max. Mais quand on donne au rêve l'aspect de la réalité, on lui fait perdre sa dimension onirique, et le réalisateur doit alors en assumer le propos comme sien. Terry Giliam a su montrer des rêves effroyables dans "L'Imaginarium du Docteur Parnassius", et tout dans sa réalisation montrait que ce n'était pas son point de vue, mais celui de Tony et/ou du Docteur Parnassus. Ici, le gamin braillard et ces télétubbies sous crack nous sont donnés à voir sans filtre, et ça devient vite insupportable.
Il est étonnant que Spike Jonze soit à ce point passé à côté d'un sujet qui lui tenait visiblement tellement à coeur. L'absence de Charlie Kaufman à ses côtés pour l'écriture du scénario comme pour ses deux premiers films explique peut-être cet échec, tant les éléments liés à l'imaginaire et qu'on retrouve dans des films d'autres réalisateurs dont il a aussi signé le scénario (Gondry) font ici défaut. Espérons que cette échec (moins de 100 000 entrées France à 15 jours de Noël) le conduise à retrouver cette inspiration, avec ou sans Kaufman.
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