Pi est un personnage qui va vivre une "histoire extraordinaire", ce format qui permet aux films les mieux distribués de revenir aux sources et de s'y goulûment abreuver. On pensera bien sûr à Seul au monde, et l'on se demandera si Ang Lee n'a pas juste changé quelques éléments et assombri le ton de peau de son protagoniste pour réchauffer l'idée. La réponse est non.
On entre dans la narration sans autre forme de procès qu'un joli générique qu'on ne sait pas par quel bout attraper. Suivant la jeunesse de Pi à Pondychéri, le film passe en revue les évènements qui l'ont construit avec une sorte d'hésitation entre le rigolo et le surnaturel qui nous le fait glisser entre les doigts. Il me reste de cette première partie un léger arrière-goût pas très agréable de « film pour toute la famille » du genre « Narnia sous les tropiques », mais L'Odyssée de Pi a une certaine violence en lui, voire de la férocité, qui le disqualifient largement de ce statut indirect de film pour enfants.
Cette ambiguïté tient peut-être en partie au fait que rarement une grosse production avec des animaux aura fait autant attention à ne pas se barbouiller d'anthropomorphie. Les récits de cohabitation entre l'Homme et l'animal sont rapidement gênants et ridicules ; Ang Lee évite cet écueil en faisant montre d'un grand respect pour les bêtes, au niveau de leur représentation. Leur nature n'est pas édulcorée et leurs instincts ne sont pas effacés. Le prix de cette prise de parti, c'est une quantité phénoménale de CGI, mais c'est pertinent, d'autant plus respectueux pour les animaux et surtout très beau.
Je ne peux pas en dire autant du fond moral, qui semble avoir servi de prétexte au réalisateur pour faire une œuvre qu'il avait déjà bien en tête. La spiritualité, par exemple, tombe dans la case « rigolo » sans jamais visiter celle du surnaturel. Il y a un certain manque d'aboutissement dans les questions qui sont soulevées, et l'émerveillement fait long feu à plus d'un endroit. La narration d'arrière-plan est une bonne idée mais ne s'exalte jamais. En bref, le film pense à tout, mais sans beaucoup d'équité.
En revanche, il arrive très bien à nous faire croire à son monde, lequel marche de manière tout à fait autonome. Il parvient par moments à captiver entièrement, et quand il mise tout sur le surnaturel, ça fonctionne. La plupart du temps, le regard d'enfant de Lee est suffisamment convaincant pour constituer un univers impossible qui est à la fois esthétique et neuf. Encore une fois, des fois le film est juste beau, mais ça suffit.
En conclusion, je crains de vous dire de ne pas penser à Peter Pan en le visionnant, car j'en reviendrais à dire « ne pensez pas à un éléphant rose ». Pourtant le secret de Pi est là : il nous dit ce qu'il ne faut pas qu'il nous rappelle, et ça marche. Car tant qu'on a les yeux rivés à l'écran, il semble qu'il n'y a pas d'autre vérité que celle qu'il nous propose.
→ https://septiemeartetdemi.com/