Une esthétique très « fond d’écran » aux couleurs saturées, une virtuosité cinétique, (déplacements des masses d’eau durant la tempête), un réalisme évident en ce qui concerne les animaux « plus-que-parfaits ». Les images sont trop belles pour être vraies mais « trop », c’est déjà beaucoup ! Aussi la scène au lever du soleil comme la nuit océanique étoilée de méduses phosphorescentes procèdent d’un onirisme éblouissant.
Le scénario reste au service des péripéties, elles-mêmes au service des images, et je n’ai rien appris sur la condition humaine malgré
le caractère extrême d’une dérive sur l’océan
.
Je n’ai pas compris pourquoi le tigre ne finissait pas de manger le zèbre et le singe avant d’attaquer l’homme. Je ne suis pas expert animalier, loin s'en faut, mais il me semble que les fauves n’attaquent qu’en cas de nécessité. Quand ils n’ont pas faim, ils paressent. Je n’ai pas compris pourquoi Pi sauvait le tigre dans une situation de survie. Se permet-on le loisir de nourrir un grand chat domestique quand les vivres se raréfient et quand celui-ci ne songe qu’à nous dévorer ? « Répondre à ses besoins donnait un sens à ma vie » explique Pi. Je ne vois pas pourquoi. D’ailleurs le nom de Richard Parker crié, répété, a tendance à pousser d’un revers de main toute poésie. Drôle d’idée que ce nom.
Quand Pi remercie Vishnou d’être venu sous la forme d’un poisson à manger pour lui sauver la vie, selon sa propre interprétation, j’ai trouvé l’idée charmante et j’ai pensé à l’eucharistie chrétienne quoique moins sportive, avec un dieu qui nous sauve quand on le mange. Mais l’idée d'une île carnivore est aussi ridicule que le nombre de suricates qui l’habitent.
Dans un premier temps, je trouvais très sympa de voir des non Blancs (ob)tenir les premiers rôles à Hollywood dans un film coûteux, sans que leur couleur ne les réduise à des fonctions auxquelles nos idées reçues veulent les assigner, et sans que ce soit des personnages historiques comme Gandhi. (Shyamalan se confie des rôles secondaires et les Noirs sont souvent des militaires, des capitaines de police ou font les « copains » des personnages principaux, blancs.) Mais les idées reçues ne sont pas tout à fait absentes, sous une forme subconsciente : Pi a un rôle très
physique et régresse à l’état de l’homme des cavernes au moment d’avoir faim, se disputant un poisson avec le tigre ou arrachant la viande de ses proies sans les cuire.
D'un point de vue féministe, le film réduit les personnages féminins à des apparitions très anecdotiques :
la jeune et jolie fille qui danse et sourit, parfait objet sexuel pour Pi (pour vérifier qu'il est hétéro, ouf !), et la mère, qui n’enseigne rien à Pi, laissant cette noble fonction de transmission au père… De même, la guenon (elle aussi mère) se fait manger et le tigre est un mâle
, pour permettre les fameuses « amitiés viriles » capables d'aller si loin qu'elles dépassent la différence d'espèce...