Maintes fois adaptée au cinéma depuis sa première apparition en 1931 dans le film de Tod Browning, la légende du comte Dracula retrouve ses lettres de noblesse grâce à une réalisation fidèle au roman original signée par Francis Ford Coppola
Dès 1977, James V. Hart commence à travailler sur le scénario avec l’objectif de se rapprocher du roman de Bram Stocker (1897), créateur de Dracula. En effet, selon le scénariste, aucun des films ayant tenté d’adapter l’histoire de ce célèbre vampire ne s’est suffisamment basé sur le livre, préférant tous s’inspirer de la pièce de théâtre. De ce fait, le principal souhait d’Hart est de retranscrire la dimension érotique de l’ouvrage, négligée dans tous les longs-métrages qui ont été réalisés depuis les années 1930. Après avoir terminé le scénario de Hook en 1990, il concrétise son projet et le soumet à des studios de production. Mais aucun d’entre eux n’est intéressé, si ce n’est Wilshire Court, qui propose d’en faire un téléfilm avec un budget limité à 3,5 millions de dollars.
A l’automne de la même année, Winona Ryder découvre le script et le présente à Francis Ford Coppola, avec qui elle avait dû renoncer à travailler l’année précédente, en raison de problèmes de santé, pour incarner Mary Corleone dans le Parrain 3, rôle finalement attribué à Sofia Coppola, la fille du cinéaste. Convaincu et intéressé, Francis Ford Coppola accepte de réaliser le film et demande une nouvelle fois à Winona Ryder de participer à son projet, une proposition cette fois acceptée.
Coppola fait réaliser un storyboard d'un millier d'images inspirées de La Belle et la Bête (1946) de Jean Cocteau et d’œuvres de Gustav Klimt, dont le Baiser, afin de montrer à ses décorateurs et costumiers des exemples de l'esthétique qu'il souhaite donner au film. En raison de son budget assez limité, Coppola décide de tourner le film entièrement en studios à Los Angeles et de ne pas se servir de l'informatique pour réaliser les effets spéciaux, préférant travailler « à l’ancienne ». Pour cela, il envoie son fils Roman se renseigner sur la façon dont les effets spéciaux étaient réalisés au début du cinéma. De plus, toujours dans un souci d’économie, il se concentre sur la confection des décors et des costumes pour créer une ambiance horrifique, un travail mis en valeur par l’artiste japonaise Eiko Ishioka, qui a déjà collaboré avec Coppola pour concevoir l’affiche d’Apocalypse Now.
Avant même le tournage, pour offrir une meilleure immersion à ses acteurs et les habituer à leurs rôles respectifs, le cinéaste les convoque dans sa résidence californienne pour procéder à des répétitions au cours desquelles il s’oppose à Gary Oldman dans la manière de rendre Dracula plus terrifiant. Mais la situation s’est apaisée lorsque le tournage débute en octobre 1991, pour s’achever en janvier 1992.
Cette adaptation du comte Dracula, qui reste très proche du roman en dépit de quelques différences mineures concernant essentiellement l’apparence du vampire, est dotée d’un esthétisme horrifique et érotique qui fait planer un esprit malsain et dérangeant. De plus, malgré une première demi-heure particulièrement réussie en introduisant une tragédie sentimentale shakespearienne, ainsi qu’une atmosphère angoissante dans la découverte de la Transylvanie, le reste de la narration s’égare et se disperse, avec l’impression que Coppola cherche à étoffer son scénario en ayant recours à des scènes peu pertinentes et captivantes. La conséquence est un ennui inévitable lors de plusieurs séquences avec, qui plus est, un romantisme et un lyrisme parfois très niais (les aristocrates mijaurées interprétées par Winona Ryder et Sadie Frost sont particulièrement exaspérantes).
Néanmoins, la majorité des critiques s’accorde pour saluer la richesse visuelle de Dracula, et plus précisément, la beauté et l’originalité des décors et des costumes. Une fois de plus, Eiko Ishioka prouve tout son talent créatif et artistique. De plus, le film profite d’une prestation globalement convaincante de Gary Oldman, qui s’est tellement impliqué dans son personnage qu’il a effrayé ses collègues féminines sur le tournage. Toutefois, Anthony Hopkins et Keanu Reeves se démarquent par une sobriété et une justesse qui font parfois défaut à Oldman, celui-ci basculant parfois dans une certaine exagération.
Malgré ces défauts, Francis Ford Coppola parvient à convaincre la majorité des critiques et des spectateurs. Trois Oscars honorent l’effort des effets visuels et récompensent les costumes, le maquillage et le montage sonore (les décors ne sont pas récompensés). Au box-office international, Dracula cumule 215 millions de dollars de recettes, un montant nettement supérieur au budget de production de 40 millions de dollars. En France, plus de 3 millions de spectateurs se déplacent et offrent à Dracula la sixième place des films sortis en 1993 sur le sol français.