Le pauvre Bram Stoker doit se retourner dans sa tombe...comme beaucoup, j'ai été fasciné par son roman et j'attendais un bon film puisque tiré d'une telle oeuvre. F.F.Copolla a, paraît-il, fait lire à haute voix le roman à toute l'équipe du film pour l'imprégner de son ambiance. On se demande bien pourquoi, car rarement adaptation aura été si éloigne de son modèle. Dommage...pourquoi Copolla a-t-il trahi le roman de cette manière, au nom de quoi a-t-il osé bafouer cette ambiance unique, dénaturer ses personnages cultes et ses scènes d'anthologies? Le séjour de Jonathan au château, l'affaiblissement de Lucy puis de Nina, Reinfield, la chasse au vampire: autant de scènes traitées en quelques plans, de manière elliptique et bâclée. Ce ne sont pas des scènes tirées du livre qui constituent la trame du film: voilà que Dracula est désormais le soupirant damné d'une morte, réincarnée quatre siècles plus tard (en le personnage de Mina, bien sûr...); et voilà qu'il se met en tête de la conquérir, nouant ainsi une relation ambigüe, charnelle, basée sur l'attraction et la répulsion avec Mina. En faisant de cette relation et de cette quête le fil conducteur du film, Copolla bafoue dès le commencement le roman. L'aspect fantastique du livre est quelque peu laissé de côté: oubliez votre vampire buveur de sang qui se perpétue en contaminant ses victimes, qui se transforme en chauves souris, contrôle les rats, dort dans des tombes et a peur de la lumière. Oubiez tout ça, car Copolla semble l'ignorer: si ces éléments sont rapidement présentés, ce sont deux aspects qui dominent le personnage de Dracula et le film: la tragédie et l'érotisme. La tragédie est celle de l'immortel cherchant à séduire la réincarnation de sa bien aimée. L'érotisme est présent de manière insistante dans les dialogues, dans l'ambiance du film, ainsi que dans les attaques de Dracula: les "vampirisations" s'apparentent plutôt à des viols à l'allure tantôt zoophile tantôt nécrophile. Ok, Dracula est l'anti-Christ par excellence, et faire transparaître cet aspect (inexistant dans le roman) à travers les gémissements d'extase de ces femmes en chaleur, les sous-entendus langoureux dans les dialogus ou le côté sexuel du vampire n'est pas à l'origine une mauvaise idée. Mais de là à dénaturer les personnages à cause de cet aspect érotique (Mina se chope Van Helsing, bravo!), de là à modifier en profondeur l'ambiance du roman, à faire passer la dimension fantastique et émotionelle au second plan...Des personnages, on retiendra une Mina attachante, tiraillée entre les normes de la haute société anglaise et ses sentiments pour le vampire, ainsi qu'un Dracula qui, à défaut d'être fascinant ou angoisant, se révèle émouvant. Les personnages de Jonathan, d'Arthur, de Quincey et de John sont en revanche relégués au second plan de manière impardonnable. Quand à Van Helsing, on regrette que l'humanité dont l'avait doté Stoker se soit mué en un certain cynisme. Le film ne manque pas d'aspects réussis: les scènes tirées du roman sont réalisées avec un certain brio parfois un peu kitsh; on ne peut qu'apprécier la séquence d'ouverture expliquant l'origine de Dracula, les références à Vlad IV, la volonté de l'humaniser et de le rendre plus attachant; l'érotisme donne un côté provocateur au vampirisme en plus de monstrueux, cette dimension n'était pas une mauvaise idée; de même, le thème de l'amour tragique rend le film poignant par moments. Mais, encore une fois, dommage que cet aspect tragico-sexuel prenne le pas sur ce qui faisait l'essence et le charme du chef d'oeuvre de Stoker. Pas forcément à déconseiller, mais ne vous attendez surtout pas à retrouver le suspense, le mystère et l'inventivité du roman. Le film est une tragédie basée sur un amour impossible, pas une biographe du personnage de Dracula. Bram Stoker mériterait de sortir de sa tombe, de pénétrer chez Copolla et de vider le réalisateur de son sang pour avoir osé trahir son oeuvre à ce point...