Claude Nougaro chantait : « Ils sont tous maudits, maudits, maudits, maudits, modi digliani ! »
Les films sur la vie des artistes sont les plus difficiles à réaliser ; il est en effet problématique de représenter par les images, de l’extérieur, ce qui se passe à l’intérieur, dans la tête de l’artiste ! Pourtant, certaines réalisations ont pu relever le défi. Ainsi, Lust for life, avec Kirk Dougals, a merveilleusement illustré la vie tourmentée de Vincent Van Gogh, ou encore, Camille Claudel, incarnée magistralement par une Isabelle Adjani (qui alors, n’avait pas encore pété un plomb), montre la relation tumultueuse entre la jeune sculptrice avec Rodin et comment, peu à peu, elle basculera dans la folie.
Mais il y a un film qui est passé inaperçu lors de sa sortie en salle, et qui pour les critiques qui l’ont remarqué l’ont assassiné, c’est Modigliani de Mick Davis.
Les réticences étaient fondées : un film qui se passe dans le Paris des années 20 et qui met en scène des personnages aussi célèbres que difficiles à cerner comme Picasso, Cocteau et Modigliani, et en plus réalisé par des Américains, avait en effet de quoi laisser sceptique. Toutefois, force est de reconnaître que l’interprétation de Andy Garcia dans le rôle du jeune peintre d’origine juive et qui a quitté sa Livourne natale pour rejoindre l’avant-garde artistique qui se trouve a Paris, est tout simplement impressionnant.
Le film traite de la relation de Modigliani avec trois personnages. Le premier, c’est sa compagne et sa muse, Jeanne Hébuterne, qui se donnera la mort le lendemain du décès de son amant, après avoir mis au monde leur enfant, en se défénestrant du cinquième étage de son appartement. Elle sera enterrée le même jour que lui, elle au cimetière de Bagneux, lui, au Père-Lachaise.
Le deuxième, c’est Picasso. Même si historiquement, le film n’est pas tout à fait fidèle, il illustre bien l’opposition entre les deux génies. Picasso, connaissant sa supériorité intellectuelle sur l’Italien ne peut supporter les fantaisies de celui-ci ; mais en même temps, il est lucide quant à son potentiel. Lors d’une scène mémorable du film, Picasso conduit Modigliani voir Renoir, et il lui dit : « Je vais te présenter Dieu » ! La légende veut que la dernière parole que prononça Picasso au moment de mourir fût le nom de Modigliani.
Le troisième personnage, c’est la peinture elle-même. Il peint non pas les corps, mais les âmes. En peignant Jeanne, celle-ci lui demande pourquoi il n’a pas encore peint ses yeux, et lui de répondre : « je les peins en dernier ». Il ne possède pas la peinture, c’est la peinture qui le possède, et le film montre bien la transe qui s’empare de lui quand il se livre à cette activité démoniaque (au sens où Socrate entendait son « daemon ») ; comme un autre de ses compatriotes avant lui, Paganini, il était possédait pendant qu’il créait. Il considérait que l’art était pure création et apolitique, c’est là surtout qu’il est « supérieur » à Picasso pour qui l’art avait une fonction sociale. Modigliani, par contre, croît à l’art pour l’art ! L’art n’a aucun message à passer, n’aspire pas à changer la société. L’art demande juste à être. À naître.
Il n’est pas anodin qu’il aimait particulièrement Lautréamont. Comme Isidore Ducasse, sa vie fut fulgurante et « terrifiante », au sens où son art faisait trembler toute son âme et celle de ceux autour de lui. Comme disait Bonaparte avant d’être Napoléon : les grands hommes sont des météores destinés à brûler pour éclairer leur siècle… !