L'Intrus était l'un des représentants français dans la Sélection officielle de la 61e Mostra de Venise en 2004.
Après s'être inspirée d'Herman Melville pour Beau travail et après avoir adapté le court roman Vendredi soir d'Emmanuèle Bernheim, Claire Denis a pris pour point de départ de L'Intrus le récit homonyme de Jean-Luc Nancy. Ce livre, explique-t-elle, "a agi comme un détonateur, un révélateur d'une fiction ancienne mais enfouie. A l'époque, nous tournions Trouble every day, j'étais peu disponible à quoi que ce soit d'autre que le film mais ce texte je l'ai reconnu, j'ai reconnu une sensation intervenant dans ma cage thoracique, j'ai reconnu un paysage terrestre, terrien je dirais (et ses habitants) qui se déployait sans cesse, de plus en plus loin comme une extension que j'attendais, l'extension d'une fiction qui venait se conclure aux pieds de Michel Subor et puis le kidnapperait, l'enlèverait. L'étrangeté, on me le dit toujours, c'est mon domaine, mon territoire. Mais le livre de Nancy m'a poussée plus loin, au-delà de mes frontières habituelles, m'a poussée à faire une traversée."
Claire Denis a fait appel à plusieurs comédiens qui sont déjà familiers de son univers. Personnage central de L'Intrus, Michel Subor incarne le commandant Forestier dans Beau travail. Dans ce film sur la légion étrangère à Djibouti, on retrouvait aussi Grégoire Colin dans le rôle d'une jeune recrue. Précédemment, on avait remarqué cet acteur en ado révolté dans US go Home et en pizzaïolo dans Nénette et Boni - il est également apparu dans le court-métrage Nice, very nice (issu du film à sketchs A propos de Nice, la suite) et dans Vendredi soir. Autres comédiens-fétiches de la cinéaste : Béatrice Dalle (aussi bienveillante dans J'ai pas sommeil que terrifiante dans Trouble every day) et Alex Descas, qui organise des combats de coqs dans S'en fout la mort, un des 7 films (courts et longs métrages confondus) qu'il a déjà tournés avec la réalisatrice. Rappelons enfin que Katerina Golubeva campe la Lituanienne à la dérive de J'ai pas sommeil, et que Florence Loiret incarne une victime dans Trouble every day et figure également dans Vendredi soir.
L'Intrus, le texte de Jean-Luc Nancy qui est à l'origine de film, rassemble les impressions et les réflexions d'un homme qui est sur le point de se faire greffer un coeur -une expérience qu'a vécue l'auteur. Ce récit philosophique a donné lieu à un autre long métrage, sorti quelques semaines avant L'Intrus : La Blessure de Nicolas Klotz, une oeuvre exigeante, entre documentaire et fiction, sur le sort réservé aux sans-papiers à leur arrivée à l'aéroprt de Roissy - il s'agit d'une autre forme de greffe, entre des individus et une société. En 2002, Claire Denis avait réalisé Vers Nancy, un court-métrage en forme de dialogue avec le philosophe, dans le cadre du film à sketchs Ten minutes older : The Cello.
La réalisatrice évoque l'évolution du projet, les différentes étapes du voyage : "Je voyais d'abord deux parties, un film en deux parties, comme les deux valves du coeur. Les deux hémisphères, le nord et le sud. Le passage de l'équateur n'est pas anodin, même aujourd'hui (voyages rapides etc.). Pierre Chevalier, qui après Beau travail, m'avait offert de retravailler pour Arte, a alors suggéré deux épisodes de deux fois une heure. Ensuite, en travaillant avec Jean-Pol Fargeau, je me suis rendu compte qu'il manquait une pause, le limbo, le moment où Trébor renaît avec le second coeur et là, j'ai pensé que ça pourrait être à Pusan en Corée du sud." Dans le scénario, les trois parties étaient clairement séparées, comme l'explique Claire Denis : "Longtemps, j'ai tenu sur cette idée-là et puis quand je suis arrivée à Pusan, le hasard a fait que le premier jour de tournage, la neige est tombée, il n'avait pas neigé à Pusan depuis 15 ans. Pusan venait justement après le Jura et la neige. C'était comme un lien naturel avec l'hémisphère nord." C'est ainsi qu'elle a décidé que les trois parties seraient imbriquées, et non pas distinctes.
Claire Denis se souvient de son voyage en Polynésie, pour les repérages : "Au début, j'étais exaltée par la masse de l'océan. Et puis en arrivant aux Marquises, sur le cargo où nous avions embarqué (...) j'ai commencé à me sentir... mourir. De cette puissance mélancolique, je suis tombée de tristesse. Dans la langue polynésienne on a donné un nom à cet état : on l'appelle le fiu." Michel Subor a par ailleurs confié à la réalisatrice qu'il connaissait bien cette région, pour y avoir tourné trente ans plus tôt Le Reflux, unique film réalisé par le scénariste Paul Gégauff.
La cinéaste parle du Haut-Doubs, dans le Jura, une région qu'elle connaît depuis l'enfance et où elle a tourné la première partie de son film : "(...) j'ai eu une tante là-bas (...) elle travaillait dans une usine de montres. Les deux petits lacs, les hauts sapins, la forêt très dense qui empiète sur la Suisse. C'est un ancien territoire de contrebande. Les douaniers ne peuvent qu'attendre à leur poste. L'hiver très froid, l'été hors des routes... Quelqu'un qui se cache, qui vit en reclus, c'est bien là. Je pensais à cela, enfant, j'avais peur de croiser des solitaires, des chasseurs, des hommes seuls avec des fusils..." Certaines scènes (que la réalisatrice qualifie d'"appendice de la première partie") ont été tournées à Genève, une ville qui évoque "la banque, le guichet. Et la montre. Jean-Luc (Nancy) m'avait dit un jour que changer de coeur, c'était comme changer de montre, le bruit, le tic tac n'est pas le même."
La réalisatrice définit la place très particulière qu'occupe Trébor, alias Michel Subor, dans le film : "Ce dont j'étais vraiment sûre, c'était de Michel Subor. J'ai dit à Agnès [Godard] : le principe, c'est que Michel est tellement dans le film qu'il n'a pas besoin d'être dans l'image, il faut au contraire que les plans naissent de lui (...) il est le générateur de tous les personnages. Parce qu'eux sont dans le cadre, alors que Michel peut être absent d'un plan puisque le plan est généré par lui : ça a été la base du travail avec Agnès. A peu près toutes les séquences ont été construites sur ce principe. La sauvageonne est le vieux coeur, le coeur probable, celui qui ne manquera à personne, Katia Golubeva l'ange de la mort, mais aussi le passé russe de Trébor, etc. Chaque plan est issu de sa pensée, de son regard, ou de son pressentiment."
Derrière la caméra, Claire Denis s'est également entourée de fidèles collaborateurs : le scénariste Jean-Pol Fargeau, qui a travaillé sur cinq de ses films précédents, dès Chocolat (son premier opus), Agnès Godard, chef-opératrice sur tous ses films depuis le documentaire sur Jacques Rivette réalisé en 1990, mais aussi la monteuse Nelly Quettier, choisie pour la cinquième fois par la réalisatrice.
L'intrus est le premier film que Claire Denis tourne en Cinémascope. A propos de cette envie d'Agnès Godard, la réalisatrice note : "(...) c'était notre façon de répondre ensemble à quelque chose de nouveau, de considérer vraiment le rapport entre Michel et le territoire."
On remarque dans L'Intrus la présence de Bambou, célèbre pour avoir été la dernière compagne de Serge Gainsbourg. Après avoir connu une enfance difficile, la jeune femme aux origines germano-eurasiennes, dont le vrai nom est Caroline Von Paulus, rencontre l'homme à tête de chou, tout juste séparé de Jane Birkin, dans une boîte parisienne, l'Elysée Matignon, en 1980. Le couple aura un enfant, Lulu et de leur union naîtra également un album, Made in China, enregistré par la chanteuse en 1989. Bambou n'est pas tout à fait une débutante au cinéma puisqu'en 1979, elle apparaissait dans un téléfilm de Michel Polac, L'Homme sandwich. Elle a tourné par la suite dans L'Enfant secret de Philippe Garrel (1982), puis dans La Fin de la nuit, court métrage d' Etienne Faure.
La musique de L'Intrus est signée Stuart Staples, leader des Tindersticks, groupe anglais auquel fit appel Claire Denis en 1996 pour composer la BO de Nénette et Boni (qui comprenait également d'anciens titres de la formation). On doit également aux Tindersticks la musique lancinante qui traverse Trouble every day (2001). Enfin, le guitariste et violoniste du groupe, Dickon Hinchliffe a composé seul la BO du film précédent de la réalisatrice, Vendredi soir.