Avec Narco, le cinéma français prouve une nouvelle fois à ses détracteurs qu’il peut être résolument moderne et créatif.
Point de départ plutôt original de ce petit bijou de fantaisie et d’humour : le héros, Gus, est narcoleptique, autrement dit il est susceptible de s’endormir à n’importe quel moment. Si cette pathologie est loin d’être drôle dans la réalité, cinématographiquement elle est du pain béni pour une comédie ou un film onirique. Tristan Aurouet et Gilles Lellouche ont la bonne idée d’associer les deux. Ainsi les endormissements de Gus donne le plus souvent lieu à des situations irrésistiblement drôles. Mais les plongées dans les rêves du héros sont aussi le moyen pour les deux réalisateurs de s’éclater dans des genres aussi variés que la guerre ou le film de gangsters (et de façon bien plus convaincante qu’un certain Zach Snyder récemment…). Cependant, la réussite tient surtout au fait que Aurouet et Lellouche ne se contentent pas de livrer une simple comédie conventionnelle. A force d’endormissement inopinés, Gus ne fait plus vraiment la différence entre rêve et réalité. Et bien soit, les réalisateurs vont plonger le spectateur dans le même état que leur personnage principal. Tout d’abord, difficile de définir le monde de Narco, géographiquement indéfini, se situant dans une France aux traits américains. Ensuite, les personnages qui le peuplent ressemblent plus à des héros de BD (autre thème dominant du film) qu’à des personnes de la vie de tous les jours. Les seconds rôles tous aussi délirants les uns que les autres représentent par ailleurs l’autre gros atout comique du film. Zabou Breitman prouve une fois de plus qu’elle est une comédienne aux multiples facettes, en campant une femme, en pleine crise avec son mari, et prête à tout pour devenir une "princesse". Poelvoorde trouve un rôle parfait pour lui, en meilleur ami qui rêve de devenir le nouveau Van Damme. Guillaume Galienne est le méchant du film, psychiatre psychopathe tout droit sorti d’un comic. François Berléand se la joue éditeur ringard qui ne rêve que des planches. Autour de ces seconds rôles gravitent aussi d’innombrables troisièmes rôles campés par des comédiens quatre étoiles, et des caméos succulents. Au milieu de ce monde, Guillaume Canet, drôle et touchant, campe finalement le personnage le plus normal du film, juste complètement paumé.
Dans leur façon d’appréhender leur film, Aurouet et Lellouche prennent en fait ce qu’il y de mieux dans les cinémas américain et français. Ils osent un véritable parti pris visuel, à rapprocher de l’aspect comic du film, par un travail minutieux sur le cadrage et la lumière. Ils s’amusent aussi des codes du cinéma américain, notamment dans la partie polar du film. Mais ils abordent leur sujet avec toute la finesse du cinéma français, à la fois dans l’humour et l’émotion. Ils peuvent même se vanter, même si ce n’est pas le but premier du film, d’ouvrir les yeux du spectateur sur les difficultés sociales et psychologiques rencontrées par les narcoleptiques. En fait, à l’image de beaucoup de premiers films, Narco a cette qualité de ne pas se fixer de limites et de tout oser.
Narco est donc comédie onirique délirante à découvrir d’urgence. Et la bonne nouvelle c’est qu’on retrouvera prochainement Lellouche et Aurouet derrière la caméra, pour des projets en solo cette fois.