Loin de l'image du détective privé immortalisé par Humphrey Bogart, Robert Altman livre avec "Le Privé" une réjouissante variation sur le film noir moderne. Son héros, Philip Marlowe, délicieusement interprété par un Elliott Gould tout en gouaille et en nonchalance, est un homme un peu paumé, qui perd son chat, fume clopes sur clopes et s'en prend un peu plein la tronche sans vraiment réussir à s'imposer. S'il est intelligent et qu'il a du flair, il se fait souvent malmener mais comme il le dit si bien : "it's okay with me". Dès le début du film, Altman et sa scénariste Leigh Brackett montrent bien que l'intrigue n'est pas primordiale : on y voit Marlowe tenter de nourrir son chat, sortir faire des courses, reluquer ses voisines qui font sans cesse du yoga les seins à l'air et chercher son chat qui se fait la malle. Comme son copain Terry Lennox que Marlowe emmène lui-même au Mexique avant que celui-ci ne se fasse sauter le caisson, accusé du meurtre de sa femme. Alors que tout le monde classe l'affaire, Marlowe fouine gentiment, est chargé de retrouver un écrivain alcoolique (Sterling Hayden, impérial), se fait malmener par un gangster dont la violence et la nervosité annoncent celle de Joe Pesci dans les films de Scorsese et fait un tour par la case prison. Malgré tout il enquête sans avoir l'air d'y toucher tout comme le scénario, généreux en seconds rôles cocasses (un gardien de résidence imitateur d'acteurs, des voisines plantureuses, un homme de main consciencieux) avance sans avoir l'air vraiment construit alors qu'il fourmille de détails. Certes, l'intrigue est brumeuse, fidèle à Raymond Chandler mais Altman transforme le film noir en film cool, détendu et en même temps assez cynique, comme à son habitude. La force du film tient d'ailleurs à la façon dont Altman s'attarde sur le fourmillement de vie de ses décors (un poste de police bruyant, des chiens qui s'accouplent dans une rue au Mexique) mais aussi et surtout au charme fou d'Elliott Gould qui compose un Marlowe atypique, plus humain, un peu paumé mais toujours aussi malin quand il s'y met. Ses réparties sont cocasses et le film ne tarde pas à s'imposer comme l'un des meilleurs d'Altman.