Précédant, et pour cause, les superproductions américaines qui feront de la guerre du Vietnam un thème incontournable de leur répertoire, "La 317è section" est à la fois précurseur et profondément original. Loin du spectaculaire hollywoodien, Pierre Schoendoerffer impose un cinéma âpre, un ton quasi-documentaire, ainsi qu’un refus absolu de toute prise de position morale. Ce groupe de soldat n’est pas là pour sonder la folie de la guerre, comme Martin Sheen dans "Apocalypse Now", ni pour exorciser les démons d’un pays humilié par la défaite, comme Stallone dans "Rambo 2" ou Willem Dafoe dans "Platoon". Il est là parce que c’est son devoir, que la guerre est impitoyable et qu’il faut essayer de sauver sa peau : c’est tout. Le regard est sans complaisance sur les atrocités vécues ou commises, mais sans jamais rien de larmoyant. L’œil du réalisateur est celui d’un professionnel qui expose un sujet qu’il connaît bien, pas celui d’un poète qui part dans ses rêves ou d’un philosophe qui réfléchit au sens de tout ça. A ce titre, le centre de gravité du film n’est pas le lieutenant Torrens, incarné par le jeune Jacques Perrin avec cette candeur qui n’est qu’à lui, mais l’adjudant Willsdorf de Bruno Crémer, dont ce rôle contribua grandement à faire un acteur de premier plan. Apportant déjà cette épaisseur et cette placidité qui feront tout le prix de ses interprétations futures, il réussit à ne pas être uniquement une bête de guerre. Ce pays où la guerre l’a amené, il le connaît, il l’aime, il aimerait pouvoir y vivre… mais il fait son métier de guerrier – et il apprécie, en connaisseur, lorsque ses ennemis le font aussi avec compétence. Produit par un producteur, Georges de Beauregard, qui fut celui de la Nouvelle Vague, "La 317è section" est un objet cinématographique toujours passionnant cinquante ans après sa sortie, ainsi qu’un document utile sur la guerre d’Indochine, dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle n’a pas inspiré une foule de films français.