Ce n'est pas un film comme les autres. Pas d'hystérie, pas de verbiage, pas de grande scène d'explication. L'autre n'est pas un film français comme les autres. Les premières images, sorte de générique sans texte, donnent le la : L'autre sera un film graphique, urbain et sensitif. Anne-Marie a quitté Alex. Elle lui explique que c'est fini et qu'il vaudrait même mieux qu'ils ne se voient plus. Veut-elle exorciser sa propre peine ? Cherche-t-elle ainsi à maîtriser la destinée de l'homme qu'elle vient de lâcher ? Suivant ses conseils, et plein de confiance, il lui annonce bientôt qu'il vient d'en rencontrer une autre. Le film illustre le désarroi dans lequel Anne-Marie est plongée, la naissance de sa jalousie, son obsession à mettre un nom et un visage sur son mal, sa dérive mentale et solitaire. Les réalisateurs utilisent tous les outils à leur disposition, faisant du cinéma l'art suprême de la narration. Le cadre est fixe ou mouvant, quelquefois précis, quelquefois désaxé, frontal ou en retrait derrière une vitre, une barrière d'arbres, un élément de décor. De la même manière, Dominique Blanc adopte un jeu tour à tour primaire ou distancé, terrien ou lunaire, faussement joyeux ou terrifié. La musique, omniprésente, mais jamais pesante, exceptionnelle de beauté, n'accompagne pas mais participe à cette narration chirurgicale et bouleversante de la dérive d'Anne-Marie. Le film s'étend comme un long mouvement musical, nourrissant le thème principal de nuances supplémentaires au fur et à mesure qu'il avance. On attend l'explosion. Elle ne vient pas. Mais la tension demeure. Anne-Marie perd pied, elle qui, assistante sociale, est pourtant ancrée dans le réel. Patrick Mario Bernard et Pierre Trividic nous offrent un cinéma du corps et de l'esprit sans jamais dissocier l'un de l'autre, un cinéma moderne (au premier sens du terme), puissant, profond, maîtrisé et libre. Du grand Art.