Immersion dans les mines chinoises, ce film dépeint une vision de la Chine loin de ce que l'on pourrait imaginer. Ce film, qui frise le documentaire, s'inscrit avec Li Yang dans une lignée de réalisateurs (notamment avec Jia Zhangke) utilisant le cinéma comme portrait politique d'un pays en pleine expansion. Des années 80 jusqu'aux années 2000 (où se déroule Blind shaft), la Chine a sur un certain nombre de plans évolué, et en ce sens la scène du karaoké (prodigieuse) est révélatrice. Deux personnes de "l'ancienne" génération, celle ayant encore grandie sous le socialisme majoritaire presque endoctrinant, chantent "Vive le socialisme", et deux jeunes filles, issues de la "nouvelle" génération, forcée de s'ouvrir au libéralisme/capitalisme, trouvant ce discours ringard, remplacent les paroles, pour non plus faire l'apologie du socialisme, mais celui du capitalisme. Cette courte scène, la nuit, décrit à elle seule le bond d'un pays. Bond d'un pays pourtant réfuté (par cette scène notamment il a été censuré en Chine, finalement est sorti plus tard avec des scènes coupées dont celle-là), l'ouverture des moeurs (aussi toutes les scènes sexuelles, jeune homme de 16 ans réticent ouvertement à faire sa première fois, comme si tout le pays avait peur d'exposer quelque chose que nous, occidentaux, avons l'habitude de montrer - et tout le rapport avec les portraits cachés de Britney Spears) est condamnée. Sur un plan moins symbolique et moins politique, ce film nous plonge dans un quotidien effroyable, dans une campagne sans fond, au plus profond de la noirceur humaine, là où l'homme se révèle être une sorte de monnaie, un produit d'échange, une marchandise. Deux hommes voyagent de mines en mines, tuent un inconnu (en le faisant passer pour de la famille), et réclament au directeur de la mine des indemnités, sous peine de divulguer cet "accident" aux autorités et que la mine ferme. Le chantage fonctionne, les directeurs ont peur, l'argent vient de remplacer l'humain. Le film évolue lorsqu'un nouveau jeune vient d'être - très naïvement - recruté. Il a besoin d'argent, il est crédule, et est donc prêt à tout faire pour en obtenir (la scène du "recrutement" est d'ailleurs géniale, on nous montre une réalité presque invraisemblable, dans des moyennes villes chinois sur une grande place des dizaines et dizaines de personnes attendent, plusieurs jours durant, qu'un employeur passe par là, et les choisissent). Li Yang se révèle d'autant plus ingénieux que sur la relation entre les 3 personnages, il parvient progressivement à instaurer une atmosphère particulière, très souvent touchante, et cette contradiction connue du spectateur (assassins côtoyant leur victime et attendant le moment propice pour la tuer) va être exploitée à un point inimaginable, car même entre eux des scènes de joie, voire de bonheur, vont se succéder. A la mine ou bien à l'extérieur, des instants précieux que l'on n'aurait jamais pu croire dans un tel décor, sachant consciemment la destinée de chaque personnage. Et pourtant, on y croit. On pourra également y voir une relation extrêmement particulière entre le jeune et Song, l'un des assassins. Celui-ci étant père, il va avoir une certaine tolérance (parfois contrebalancée par une sévérité exagérée) envers lui, et peu à peu va se dessiner un rapport pas si éloigné que ça d'un rapport père/fils ; cela est d'une beauté magistrale. Et par devoir moral il va vouloir initier au jeune certaines choses "d'adultes", voulant très certainement, par sa propre conscience, éviter de tuer un "enfant", symboliquement cela se ressent fortement, lui en ayant un. La morale a donc une emprise sur cet esprit froid, rouillé, calculateur, et il va offrir au jeune son dépucelage (mais l'effet va être inverse), sa découverte de l'alcool, etc. Tuer un enfant l'aurait fait culpabiliser, il faut le croire, en tant que père. Pour éviter tout spoil je tairai la fin, mais elle est d'une ironie sans pareille, et en même temps équilibrée par une certaine tristesse, qu'avec tout ce qu'il se passe, un certaine cercle se forme, une platitude de l'horreur, à tous les égards, dans ces quotidiens délabrés.