L'un des romans les plus effrayants de Stephen King, et probablement le plus sombre, a donné au cinéma un nouveau grand film d'horreur en 89, un film souvent sous-estimé.
Le scénario écrit par le romancier lui-même, garantit une adaptation très fidèle à son oeuvre, sans être trop littéral. La mise en scène devait être initialement confiée à Georges Romero, réalisateur du mythique 'La nuit des morts-vivants' et ami de l'écrivain. Mais finalement indisponible, le cinéaste sera remplacé par Mary Lambert, jusque-là réalisatrice de clips (Madonna notamment) et d'un premier long-métrage, 'Siesta', qui ne fut pas un succès. Or, celle-ci surprend au-delà des espérances, en réussissant à restituer la noirceur du livre, et en restant proche de celui-ci, malgré quelques omissions et coupures nécessaires.
SIMETIERRE n'est pas un film de zombie traditionnel. Le film, glauque à souhait, crée un climat de malaise, et destabilise le spectateur à la manière de SHINING. Outre les thèmes communs et majeurs à ces deux oeuvres tels que la désagrégation de la cellule familiale, la crise de couple de parents trentenaires, et celui d'un endroit hanté par la présence d'un esprit ou d'une créature maléfique pouvant faire perdre la raison aux protagonistes du récit, ce sont des oeuvres dérangeantes qui repoussent les limites de la représentation cinématographique de nos peurs refoulées. Comme dans CARRIE et SHINING, King dans SIMETIERRE est le brillant narrateur d'un récit construit en crescendo privilégiant la progression dramatique. Les premières scènes d'exposition des personnages décrivent le quotidien ordinaire d'une famille américaine. Soudain le surnaturel fait irruption, mais il n'est pas encore certain, l'on oscille entre le rêve et la réalité. Puis à mesure que l'histoire progresse, les tensions et les failles psychologiques des personnages grandissent, les événements terribles de la vie ordinaires s'accumulent suivant la logique de la loi des séries et des réactions en chaine, les manifestations paranormales se multiplient. Et ce jusqu'au point de non-retour du dénouement final où l'horreur de la vie réelle ( maladie, accident, suicide, mort...) rejoint l'horreur surnaturelle (pouvoir maléfique, revenant, zombie...).
Notre anxiété de spectateur grandit à mesure que la frontière entre le surnaturel (fantôme, résurrection...) et les repères tangibles tels que l'instabilité des personnages (fragilité psychologique, tensions de couple, conflits familiaux...) et la folie de ces derniers (abolition des limites entre vie et mort) se réduit, jusqu'à ce que l'évidence de l'approche imminente de l'horreur indicible redoutée ne fait plus aucun doute. Sauf que contrairement à Kubrick, par exemple, qui avait exclu de son film la chaleur émotionnelle qui caractérise l'oeuvre Kingienne, Mary Lambert préserve cette sensibilité, amenée par son regard de réalisatrice et un souci constant de révéler l'humain dans l'horreur, et l'horreur dans l'humain. Ainsi, reprenant des thèmes qui avaient pris un impact visuel et émotif fort avec L'EXORCISTE, ceux de l'enfant-monstre et de l'innocence confrontée au mal et à la perversion, le film ose traiter d'un sujet tabou tel que la mort d'un enfant, et des conséquences terribles qui vont en découler. Bien que les personnages soient animés au fond d'eux de bonnes intentions, King et Lambert démontrent comment les Creed se retrouvent aspirés petit à petit tout au fond du gouffre d'une spirale infernale, anéantis par leurs démons intérieurs et leur propre peur de la mort. Car c'est bien là la thèmatique centrale du livre et du film, la mort et ses mystères, l'angoisse et les légendes qu'elle engendre. La spirale justement, un motif présent dans cette oeuvre qui renvoit aux mythes anciens.
En outre, SIMETIERRE est un film dont l'horreur n'exclut pas l'émotion, la tristesse en particulier. La poésie funèbre et l'atmosphère déprimante, déjà forts présents dans le livre, doivent aussi beaucoup à une partition musicale très soignée, jusqu' à la chanson culte du groupe de rock américain 'Les ramones' en guise de générique final. Le film n'est pas dénué d'humour non plus, notamment avec le traitement judicieux des apparitions du fantôme Pascow, qui avertit les personnages des dangers encourus. Si l' horreur viscérale dans SIMETERRE fonctionne, et que le film comprend quelques effets gore des plus saisissants, c'est surtout sa capacité a suggérer la peur qui contribue à sa réussite. Même si la terreur glauque distillée dans le roman n'est pas aussi profonde a l'écran. Ceci s'explique par la durée du film, 1 heure et 38 minutes, un long-métrage assez court pour un pavé de près de 600 pages en format poche. Ainsi, des descriptions très flippantes du roman ont du être raccourcies, voir supprimées. Par exemple, les deux traversées des bois la nuit en direction du cimetière des indiens Mic-mac sont terrifiants et fascinants dans le livre, mais seulement inquiétants dans le film. King, dans le livre, fait une description précise et saisissante de la forêt, et utilise la dimension symbolique de celle-ci, et se sert de croyances animistes afin de renforcer son pouvoir mystique. Elle est ici à la fois un lieu de métamorphose physique, mais aussi de transformation psychologique. L'évocation du Wendigo qui la hante, créature semblant surgir d'un roman de Lovecraft (Un hommage intentionnel sans doute, que King a eéitéré dans d'autres livres) donne la chair de poule. Deux heures de film au moins ne seraient pas de trop pour honorer le livre, bien que King ait fait un excellent travail de synthèse dans l' écriture du scénario. Espérons que les auteurs du futur remake annonce en tiendront compte.
Ainsi, SIMETIERRE reste à ce jour non seulement l'une des meilleures adaptations de Stephen King au cinéma, mais aussi l'un des films les plus effrayants jamais réalisé.