Suite au succès critique mitigé de "Sueurs froides" (1958) et avant le tournant marqué par "Psychose" (1960), Hitchcock réalise "La mort aux trousses" (1959), film aux genres très variés, de la comédie noire au film policier, du thriller au film d'espionnage, et de nos jours considéré comme une oeuvre d'une grande importance culturelle, historique ou esthétique.
Tout ceci part d'un malentendu judiciaire dont le publicitaire new-yorkais Roger Thornill (Cary Grant) se retrouve confronté. En effet, il est confondu avec l'espion George Kaplan, qu'il ne connait pas et qu'il souhaitera rencontrer afin de régler cette affaire. Il va fuir à travers les Etats-Unis mais hélas, le destin va nuire à la réalisation de sa tâche ; jusqu'à ce qu'il fasse rapidement la connaissance de Eve Kendall (Eva Marie Saint), archétype de la blonde séductrice et à l'identité mystique qui semble bien connaître le véritable criminel. Va-t-elle se révéler comme un obstacle ou un biais pour que Thornill parvienne à ses fins? Pourquoi lui et Kaplan ne font qu'un, aux yeux de la justice? Hitchcock nous livre un thriller romantique singulier que l'on parvient à voir et à revoir sans désintérêt: l'ayant vu deux fois en moins d'une semaine, le deuxième visionnage m'a entre autres révélé certains éléments historiques m'ayant échappé dans un premier temps, saisissant ainsi la richesse du scénario en indices nous permettant petit à petit à construire le puzzle qui sert d'histoire que doit résoudre Thornill tout au long du film. Principalement constitué de séquences de traque ou de débats durant lesquelles notre héros part à la quête de la vérité, tout en fuyant l'organisation judiciaire le soupçonnant, l'histoire est portée par les puissantes et glaçantes mélodies au violon de Bernard Herrmann, le compositeur fétiche de la filmographie d'Alfred. Le film est par ailleurs autant constitué de séquences dynamiques
(annoncées dès le début par le caméo d'Hitchcock qui apparaît dès la 3ème minute!)
que de séquences plus calmes, dans lesquelles la musique ou le silence accompagnent le suspens des personnages, rendant le film hétérogène dans le rythme du déroulement de l'histoire, en dépit de quelques éléments scénaristiques un peu confus dans la dernière partie du film, et une fin un peu expédiée nous empêchant d'explorer davantage l'envers du décor finalement révélé,
d'ou la rentrée du train dans le tunnel, censurant la vie privée des deux protagonistes.
Par ailleurs, nous constatons que dès l'année suivante, son oeuvre "Psychose" va rompre totalement avec le style de "North by Northwest": alors que l'un sera tourné en noir et blanc, constamment dans des espaces clos avec une musique symbolisant l'angoisse des personnages à voir leurs plaisirs coupables révélés au grand jour, l'autre est réalisé en couleurs, en plein air pour la plupart des séquences. De plus, en dépit du silence pesant provenant en partie de la scène symbolique du film
(l'attaque de l'avion sur la route déserte, l'une des plus belles représentations de la menace au cinéma puisque le héros est seul avec cet avion et se retrouve en impossibilité de fuir la scène),
on y met en valeur les liens entre les personnages, favorables à la facette romantique de l'histoire, ainsi que leur exposition au monde auquel ils sont confrontés malgré eux, favorable à un style filmique proche du film d'aventure, voire d'action. Aussi, le scénario se sert de la compassion du spectateur face à la malheureuse situation de Thornill pour rendre le film comique:
la scène dans laquelle la mère de Thornill se moque des ravisseurs dans l'ascenseur montre par exemple que le héros est livre à lui-même et qu'il est impossible pour lui d'être sérieusement défendu, remettant en même temps en question la confiance de l'autre face à une situation délicate. Grosso modo, il faut s'attendre un jour ou l'autre à se retrouver dans le corps de quelqu'un qu'on n'est pas, à devenir malgré nous coupable de quelque chose qu'on n'a pas commis...
Le film avance ainsi à un très bon rythme et l'histoire se suit avec beaucoup de plaisir grâce à l'immense variété de registres, cet humour grinçant propre au maître du suspense et à ce désir imposant d'atteindre la solution finale dans ce vaste portrait de caractères.
"La mort aux trousses" est, pour conclure cette petite analyse, un très bon Hitchcock qui parvient à se démarquer des autres productions de l'époque et précurseur de nombreux genres, annonçant par la suite le succès du cinéma d'espionnage notamment avec les "James Bond", dont le style semble quasiment inspiré de celui de "North by Northwest".