Revu ce soir, Collateral (que cette critique risque de vous spoiler au-delà de l'acceptable si vous ne l'avez pas vu) confirme l'impression qu'il m'avait laissée au premier contact et que le visionnage de films comme Thief ou Miami Vice est venu étayer, celle que Michael Mann est aujourd'hui le maître du polar urbain, même si Drive demeure le film du genre que je chéris le plus. Si le scénario se rend coupable de quelques excès en évoluant sans arrêt pour maintenir la tension, quitte à parfois s'avérer léger sur la crédibilité, il demeure quand même très plaisant à suivre. Mais surtout et comme toujours chez Mann, c'est un parfait point d'accroche pour des réflexions plus complexes et une expressivité artistique sans autre équivalent dans le genre que chez Nicolas Windng Refn. Ici, Mann sonde l’abîme fascinante dans laquelle est plongé Vincent, tueur à gages qui embarquera dans son parcours meurtrier Max, un taxi driver lambda joué par un Jamie Foxx très crédible. Il mêle à cette déchirure intime l'air électrisant et saturé de la nuit urbaine, fait vivre L.A. dans chaque recoin, alors que ses personnages en manque d'air sentent tout contrôle leur échapper. L'environnement parait prendre le dessus, se faire toujours plus tangible, comme si la nuit rattrapait les deux hommes. Et même Vincent, monstre de self-control et de froideur, finit débordé par ce monstre incoercible bien plus grand que lui. Ce personnage, véritable cœur noir de Collateral, est d'ailleurs tout sauf un bad guy anodin, et possède une profondeur autrement plus prenante. "I do this for a living, Max." D'accord, on peut arrêter la traduction à un banal "C'est mon métier, Max." Ce serait sans doute louper quelque chose de bien plus viscéral, l'impression que ce tueur auto-proclamé "indifférent" et déserté par toute humanité (au sens amoral du terme) cherche en prenant des vies de quoi remplir la sienne. Qu'il maintient ce contact permanent avec la mort pour s'assurer qu'il existe. Un fait que les jeux entre ombre et lumière et l'atmosphère nocturne viennent faire résonner d'une puissance supplémentaire, et tellement classe qu'elle atteint à nouveau le statut presque iconique que Michael Mann sait souvent trouver. D'ailleurs, pour en revenir à Vincent et aux attributs de fantôme humain que je peux lui trouver, il y a vraiment quelque chose de saisissant à le voir renoncer à tuer Max alors que celui-ci l'a touché mortellement, et qu'il en a l'occasion. Après tout, si tuer était sa façon de vivre, quel sens cela aurait-il eu de continuer alors même qu'il se sait déjà mort. La dernière réplique qu'il lance ironiquement, conscient de sa propre finitude et de la vanité de la vie qu'il aura menée, est aussi lourde de sens. Puis enfin, le jour se lève, le Soleil se rallume alors que lui s'éteint, comme si les deux ne pouvaient pas brûler en même temps. Se glisser dans sa peau aura été pour Tom Cruise l'occasion d'une prestation impressionnante, à mes yeux sa meilleure avec Interview with a vampire. Pendant ce temps là, Max s'est construit en tant qu'homme, a trouvé un peu de ce qu'il désirait être, mais à quel prix ? Un happy-end qui ne rafistolera pas ce qui a été arraché de pureté et d'innocence, et évite de démentir la mélancolie éternelle de l'image. La variété des cadres, le rapport à la virilité, la nuit d'une ville tentaculaire, l'impuissance des hommes et leur combat désespéré : tout Michael Mann est contenu dans Collateral. Avant de revoir Heat, ce film plein de force tranquille et de confiance en son univers artistique est en fait mon film préféré du réalisateur américain.