Vous avez aimé "Heat" ? Alors vous allez être déçu, ce film est incroyablement meilleur !
Si on oublie le tournage en numérique haute définition qui donne une pâleur et un manque de consistance visuel dans plusieurs scènes, il faut avouer que ça donne un très grand réalisme, et surtout une sorte de poésie distante à la nuit de Los Angeles. Il faut aussi oublier quelques incrustations un peu ratées.
Ce film est une vraie surprise, on croit venir voir un énième polar avec scènes de bravoures entre méchants et gentils héros, et non. On "tombe" dans une plongée existentielle sur deux bribes d'handicapés de la vie avec des morales de fins de millénaires, pas si éloignées l'une de l'autre. Le tout dans un road-movie désenchanté digne d'un Carpenter, hélas jamais tourné.
L'action est là, mais elle n'a jamais été aussi poisseuse, jamais autant manqué de modèle noir et blanc (malgré les caricatures du casting, notamment les cheveux gris de Cruise), jamais aussi grise, si dépourvu de pathos, si dépourvue de morale ou de héros.
Sans doute y a t'il une foule d'incohérences et de coïncidences limites, mais tout passe trop vite et trop intensément pour que le plaisir de plonger dans cette virée nocturne ne soit gâché. A aucun moment.
Les pisses-froid diront que les arguments des deux protagonistes et leur psychologie ne dépasse pas le CP, mais c'est justement le but, ce sont des caricatures de 80% des américains "normaux" et de leurs aspirations ou interrogations.
Le scénario aménage des surprises qui contrastent avec des moments de lenteurs, ce qui donne un rythme plus accrocheur que "Speed" où l'on sentait que les scènes de repos étaient là pour souffler.
Le polar traditionnel essaye de faire son apparition avec les policiers, notamment le mexicain de "In the cut", mais le film arrive à se débarrasser de ces poncifs pour mieux se passionner pour l'originalité des deux personnages principaux.
Les cadrages sont bons, la photo parfois superbe, très contemporaine sur la nuit, la musique est parfaite. Les scènes d'action sont bonnes, mais il faut voir celle de la discothèque pour faire oublier toutes les tentatives de plans d'anthologie de De Palma, trop artificielles. Là, c'est du grand art.
Le casting est lui aussi inespéré, Cruise, par son visage immobile que l'on croit parfois lobotomisé dans d'autres scénarios est parfait dans le rôle d'un homme qui n'existe pas.
Le taxi est tellement inconsistant et anonyme que l'on ne pouvait trouver plus neutre pour ce type de challenge.
On aurait préféré un Denzel Washington pour le plaisir, mais le film aurait été mal équilibré.
D'autant plus que contrairement à l'affiche, le rôle principal n'est pas celui de Tom.
Le plus beau, c'est que les thèmes ne sont pas loin de "Seven", mais le message est passé d'une manière moins esthétisante, donc plus crédible. De toute manière, on sent un gros, très gros travail, et on en reste ébloui. En tout cas en VO.
Est-ce le sursaut d'Hollywood devant ses nombreux concurrents internationaux, ou le chant du cygne du divertissement efficace ? Quel beau chant, inespéré.