M. Night Shyamalan aura connu un retournement assez fort du public et de la critique. Surnommé le nouveau Spielberg au début des années 2000, on finira par lui coller une image d’auteur prétentieux qui privilégie les retournements de situations à ses histoires. Cette image sera accentuée de manière bien caricaturale car, si ses œuvres se terminent souvent par un « twist », celui-ci nourrit la narration, rendant nécessaire un deuxième visionnage pour mieux apprécier la richesse de l’intrigue. « Le Village » est de ces films, décrié à sa sortie alors qu’il colle à l’ambiance américaine ambiante.
Tandis qu’une communauté subsiste dans la crainte des créatures habitant la forêt qui l’entoure, une jeune femme se voit obligée de se confronter aux peurs du village…
Attention, le reste de cet article dévoile des éléments sur le film. Il est donc recommandé de l’avoir vu auparavant.
Rappelons le contexte de sortie : nous sommes en 2004, trois ans après la chute du World Trade Center, menant à une politique se voulant forte de Bush et une perte de repères identitaires aux États-Unis. En cela, Shyamalan use d’une promesse de fantastique pour mieux offrir un miroir sociétal aux américains. Le Village du titre est autocentré, se forgeant ses propres ressources et vivant dans la crainte d’attaques de monstres vivant dans la forêt entourant la cité. En cela, l’aspect fable se voit mis en avant, notamment par son héroïne qui cherche à découvrir le monde extérieur. Cette nature de conte se voit transfigurée par Bryce Dallas Howard, dont la beauté diaphane aura été sublimée par le metteur en scène. Il se dégage de son personnage une grâce, un charme autre digne d’adaptations des écrits des Frères Grimm. Shyamalan reprend les codes narratifs du genre avec notamment les règles imposées par la société, règles qui devront être transgressées pour amener l’évolution de l’héroïne.
Sauf qu’il y a le twist. Et là où l’on nous a vendu un film d’horreur rempli de créatures extérieures, on fait face à leur nature factice. Cette société médiévale est en réalité contemporaine à la nôtre. Et là, c’est une lecture plus précise et acerbe qui se fait de la société américaine. On en est à un point où certains critiques parlent de « trahison du fantastique ». Pourtant, si le film n’a en effet plus rien de surnaturel, il offre une nouvelle couche dans sa narration. La supercherie dévoilée, c’est donc une confrontation dure face aux promesses de la promotion. Le spectateur se trouve confronté au besoin des dirigeants du Village de faire une expérience sociale afin de prouver les dangers du monde extérieur sur une communauté. Aucune intention négative, seulement l’envie d’éviter d’autres tragédies humaines.
Ce repli permanent a néanmoins des conséquences, comme cela aura été prouvé dans la politique américaine actuelle. La tragédie est au cœur de toute société et chercher à prévoir l’imprévisible est superflu. La dernière partie du récit s’agence dans ce sens : quoi qu’on fasse, qu’importe la puissance du repli sur soi, on ne peut échapper à la terreur qui s’immisce dans le cœur de n’importe quel être humain. Shyamalan filme cela avec une forme de poésie, gérant ses tournures les plus sombres avec une précision d’orfèvre, symbolique de la maîtrise narrative du réalisateur appuyant la justification du retournement narratif. Il serait dommageable néanmoins de passer sous silence la photographie subtile de Roger Deakins, la musique puissante de James Newton Howard et un casting impeccable.
Si « Le Village » aura été un des films marquant la fracture entre Shyamalan et son public, c’est sans doute pour son rapport déplaisant avec une situation politique tendue dans une Amérique aux blessures pas encore cicatrisées. Le film marque pourtant un sommet dans la carrière du réalisateur, par sa maîtrise absolue dans tous ses domaines et son final, sans doute l’un des retournements les mieux gérés du septième art par l’approfondissement qu’il amène et son côté amer, annonçant la fin d’une jeunesse obligée de sacrifier son innocence pour ce qui passe comme le bien-être de sa société. Au vu de la situation politique causée par Donald Trump, on peut néanmoins constater (et regretter) l’intemporalité du récit.