Après avoir fêté les 90 ans de "Metropolis", "Drôle de drame" s’invite à mes côtés pour ses 80 bougies (Cannes Classics oblige...). Et de m'apercevoir que le film, malgré toutes ses qualités kitschissimes, n'a plus les mêmes vertus euphorisantes.
Pour son deuxième long-métrage, Marcel Carné s'entoure de Jacques Prévert pour la partie scénario/dialogues après l'unique participation du poète pour les dialogues lors du premier film de Carné ("Jenny"). Une collaboration qui fera tous les bons jours et les beaux yeux (!) du cinéma français d'avant guerre. "Drôle de drame", "Le quai des brumes" et "Les enfants du paradis" évoquent à eux seuls la quintessence de ce cinéma classique, d'une autre époque. Une rencontre unique (Carné/Prévert) ancré et rentré ainsi dans la mémoire collective, celle du cinéma. Comment ? Grâce à la mise en scène de Carné, les bons mots à la Prévert, et toute la satire sociale dont Carné avait le secret de mettre en scène.
Scénario de "Drôle de drame" : l'évêque Bedford, cousin du très sérieux professeur de botanique Molyneux, s'invite à dîner chez le domicile de ce dernier pour voir sa femme qui finalement ne sera pas là. Son absence va déclencher une ribambelle de quiproquos, tous plus loufoque les uns que les autres.
Ici, Prévert, scénariste et dialoguiste (donc !) assure un max sur les penchants de la société que Carné met à mal dans sa mise en scène : presse à scandales, enquête policière menée à la va-vite, hôtels peu fréquentables, scènes de masse et d'éxécutoires. L'auteur de "Pour faire le portrait d'un oiseau" se livre, et à travers les maux de la société se fait l'alter-ego du réalisateur. Bravo, Jacques ! De plus, le poète se fait également remarquer par son célébrissime "Bizarre, vous avez dit bizarre", un dicton qui a traversé les décennies ! Il s'agit en réalité d'une partie de la discussion dînatoire entre les deux cousins, Bedford (Louis Jouvet, impérial) et Molyneux (Michel Simon, indécrottable). Des bons mots, des phrases rigolotes qui ponctuent la rythmique indéniable de "Drôle de drame". Merci Monsieur Prévert ! Un chef étoilé aux dialogues, je vote pour. Simplement sublime !!
A la barre, le futur réalisateur de "Hôtel du nord". Toujours dans le bon ton, il marque les facéties burlesques de ces aventures emmenées par le duo irrésistible Jouvet/Simon par des cadres parfait, un montage soigneux, limpide et une image en noir et blanc léchée d'Eugène Schüfftan (le chef-opérateur des effets spéciaux de "Metropolis", c'est lui !!) qui, combinés, m'ont rebutés. Pourquoi ? Car aujourd'hui, cette réalisation est passive, lente et beaucoup trop classique. Carné filme très bien (que ce soit les travellings arrières ou les plans fixes) et "Drôle de drame" restera à jamais un objet fétiche des années 1930 mais fait aujourd'hui désuet pour la partie réalisation. De même, la musique n'a plus aucun charme. Une réalisation et une composition musicale kitchissime en somme.
Les deux seuls atouts qui restent sont le casting et l'enchaînement des situations et des quiproquos emmenés certes par un Carné plus roublard que jamais, mais il a seulement 31 ans. Prodigieux !
Michel Simon interprète donc le mari Molyneux qui se soucie davantage de sa passion (la botanique) que des aventures dans lesquelles il est entraîné. Un humour fin le caractérise, et si le grand public se souviendra de lui comme Boudu (dans le film de Jean Renoir) ou du Vieil homme (dirigé par Lelouch pour son dernier rôle), il marque sa présence par sa sympathie, son air débonnaire et surtout par son charme tout naturel qu'il fait ressurgir à chaque fois qu'il a la caméra devant lui. Merci Monsieur Simon ! Le duo qu'il forme avec Louis Jouvet (jouant l’évêque Bedford et cousin Molyneux) est impérial car fonctionnant à double tranchant. D'un côté, on a l'empathique Simon, de l'autre, le charismatique acteur du "Quai des orfèvres" qui impose sa silhouette, son jeu d'acteur physique époustouflant et sa stature d'homme belliqueux. Enorme duo que ce Jouvet/Simon ! A leurs côtés, Françoise Rosay (épouse de Feyder, elle jouera dans "Le ruisseau", "Macadam"...) parfaite dans le rôle de la femme Molyneux, Jean-Louis Barrault ("Sous les yeux d'Occident" de Marc Allégret, "La ronde" d'Ophüls, "Le jour le plus long"), délicat et convaincant à souhait pour son personnage de tueur de bouchers (dans l'un de ses premiers rôles), et Jean-Pierre Aumont (révélé par Cocteau -"La machine infernale"-, il obtiendra un César d'honneur en 1991 pour sa carrière), délicieusement appréciable en tant qu’hurluberlu de service et livreur de lait.
Pour conclure, "Drôle de drame" (1937), petit chef d’œuvre d'époque et comédie policière enlevée, reste ce métrage quatre étoiles (Carné, Prévert, Jouvet, Simon) kitsch et classique des années 1930.
Spectateurs botanistes, ar-Rosay (arrosez) vos mimosas !