Good Bye Lenin ! a la grande intelligence de proposer, à partir de son canevas digne d’une comédie de boulevard, une reconstruction topique et utopique d’un Berlin sous régime démocratique. Ou comment la fiction sert la concrétisation de la fiction idéologique dans laquelle une femme s’épanouissait et qu’elle imposait à sa famille. Alexander Kerner l’avoue lui-même : la RDA ainsi recréée est celle dont il a toujours rêvé, lui ce jeune rebelle qui n’hésitait pas, quelques années auparavant, à manifester pour défendre la liberté de presse. Car la mystification mise en place offre un important potentiel artistique : elle mobilise le meilleur ami qui s’initie aux métiers de réalisateur et monteur, elle transforme Alex en archéologue contraint de fouiller les vestiges de l’ancien système – comprenons : les poubelles – pour mieux le restaurer, le redynamiser. C’est à l’hôpital qu’il trouve l’amour, et la relation qu’il entretient désormais avec sa mère semble balayer les rancœurs passées : il a donné naissance à une utopie située en dehors du temps, dans une zone intermédiaire entre la Terre et le Ciel. Ce bouleversant adieu d’un fils à sa mère pose également la question de la subjectivité de l’Histoire comme expérience vécue et fantasmée : que signifie penser la République Démocratique Allemande ? comment rendre compte de ce qu’elle a pu représenter pour son peuple sans épouser l’idéal qu’elle visait ? La mystification comme seul instrument apte à révéler le fanatisme politique dans ce qu’il a de plus religieux. Le lieu principal n’est autre que la chambre à coucher dans laquelle Christiane réapprend à vivre, bulle à la fois insérée dans le monde de la fiction et projetée hors du monde réel. Nul hasard si son contact avec la réalité s’effectue par le biais du lit, support de la rêverie. Pourtant, il ne faudrait pas voir dans Good Bye Lenin ! l’apologie d’une idéologie et le déni d’une autre, par simple jeu d’oppositions. Car s’il y a bien une charge critique à l’encontre du communisme, le capitalisme subit une même charge à la puissance cette fois redoublée, puisqu’elle va à l’encontre du système qu’il propose et à l’encontre de l’eldorado qu’il était censé incarner. Et le comique constitue l’arme privilégiée pour renvoyer dos à dos les idéaux et leurs désillusions, ne sert, en fin de compte, qu’une esthétique de la récupération par le mensonge : le seul idéal réellement accessible est celui qu’un individu construit pour sa famille, contre vents et marées, à partir de bribes de souvenirs ramassés çà et là, de vieux pots de cornichons et de chants patriotiques. Jadis la mère, maintenant le fils. Toute cette farce prône la réconciliation et se saisit d’un miroir curieusement suranné dans lequel se réverbèrent néanmoins les maux nouveaux, apportés par le système capitaliste, et les avantages inspirés du passé. C’est dire que le faux a valeur de vrai, c’est dire aussi que la politique de rétention des hommes était seule à même de leur faire ressentir une liberté que le capitalisme, en feignant l’octroyer à tous, engloutit dans sa machinerie déshumanisante. Un grand film politique, en somme, caché derrière une grande comédie dramatique, portée par le piano de Yann Tiersen.