Lénine est parti socialiste bien avant que le mur de Berlin en ratatouille. Pourtant, si Becker fait appel au grand personnage, ce n’est pas juste pour permettre le magnifique & symbolique enlèvement de son buste à Berlin-Est ou pour faire figure de proue(sse) devant d’autres grands personnages, ceux du film.
Les murs de Berlin-Est en 1989 vibraient au passage des tanks dans les rues, et le peuple à l’évocation de ses ”camarades”, diaspora politico-survivaliste d’une URSS à l’agonie. Une situation digne d’être toujours rappelée ne serait-ce que dans une optique historique, mais dans notre cas, c’est aussi un cadre qui se prête bien à une forte contextualisation, et un terrain propice à la voix off de Daniel Brühl qui serait facilement encombrante dans un autre contexte. Enfin, c’est une aire créative parfaite pour Becker qui dote à qui mieux-mieux son film de compositions tour à tour charmantes & grinçantes, pastels & vives, positives & négatives.
Dans ce jeu de cloche-pied sur la frontière entre les deux Allemagne, réduite à un fil d’équilibriste par les treize années séparant la chute du Mur & le tournage, il est aussi formidable de voir la métamorphose de Berlin réunifiée, retranscrite avec toute sa fulgurance et avec la moindre once de son sens pour les habitants éperdus. C’est une saveur de nouvel âge hippie qui est créée par l’huile & l’eau de la ville, mélangées dans le miracle social.
On regrette au passage l’arrière-goût un peu artificiel derrière les Berlin contrastés à outrance par les effets visuels, où l’Ouest se dote du vernis aseptisé & un peu idéaliste qui nappe aujourd’hui les dystopies les plus timides.
Au gré d’arabesques aux motifs ni répétitifs ni redondants, Becker nous fait subir les problèmes de ses personnages dans une histoire extrêmement fictive qui pourrait être… extrêmement vraie. Son scénario consiste à prendre le point de basculement de la chute du Mur et d’y ajouter juste une épice scripturale : le coma. Un trait tiré au-dessus d’un basculement qui serait fatal s’il était révélé à la souffrante à son réveil, et dont la simplicité n’a d’égaux que la réalité du choc & les délices de quiproquos discrets que Becker n’avait plus qu’à se pencher pour ramasser.
Berlin a sombré dans le coma aussi pendant ce temps : un coma éthique induit par des déversements capitalistes brusques, toujours un peu idéalisés ; disons que c’était la déviation nécessaire pour mettre la dernière touche à l’humeur du film et afin que le travail de révélation-ridiculisation se maintienne.
Lénine s’en va dans un salut patriote devenu signe d’adieu, on parodie l’ ”ancien” jounal télévisé en affectant une tenue qu’on avait reniée très vite (en arborant un costume mais sans porter de pantalon) et on retrouve, au détour de la surprotection d’un fils et avec une nostalgie teintée de dégout, les maniérismes d’un Berlin-Est tout terne, usé par quatre décennies de proximité subatomique avec son parfait opposé.
Le plus magique, c’est que ces mascarades (qui sont des mensonges) passent sous le coup d’une ”rechute du mur” parfaitement maîtrisée au grand écran, et elles renaissent de leurs cendres contre toute attente en passant par leur propre dérision. Né dans la technique et mort dans la douceur, Good Bye, Lenin! est de ces chefs-d’œuvre non américains qu’on néglige.
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