Chaos.
Pour son premier film anglophone, Verhoeven le néerlandais tourne en Espagne avec des acteurs australiens et américains (entre autres). C’est un petit pas vers les States. Nous sommes au début du XVIème siècle en Europe féodale et on suit un groupe de guerriers mercenaires. Suite à une bisbille avec leur ancien employeur, le seigneur Arnolfini, ils préparent une vengeance. Au même moment, Arnolfini tente de marier son fils avec Agnès, une jeune nana de la haute, belle et pure comme la rosée du matin. Celle-ci va tomber entre les mains des mercenaires et de leur terrible chef Martin. La promise va devoir s’accommoder de la situation pour survivre. C’est dans un certain chaos que tout ça commence, une scène de bataille, de pillages et d’exactions en tout genre. On est tout de suite dans le bain, et on ne cessera de patauger dedans jusqu’à la fin de ces deux heures. Pour bien comprendre à quoi on a affaire, il faut se figurer le conte classique, à la Disney si on veut : Dans un royaume paisible, un jeune et charmant prince aux intentions pures rencontre et tombe amoureux d’une jeune et belle princesse. Celle-ci court un grand danger et le prince usera de sa force, de son intelligence et de ses valeurs positives pour la sauver. A la fin, ils se marient et tout le tralala. C’est bon, on a bien l’image en tête ? Parfait car le film de Verhoeven propose une version pervertie de chaque élément du synopsis habituel. Dans ce monde de chaos plein de foi mais sans morale, notre princesse Agnès perd sa virginité au cours d’un viol collectif et parvient à s’en sortir en simulant le plaisir et en séduisant le chef de ses violeurs (schéma récurent chez Verhoeven). Son attachement au jeune prince est surtout le fait d’une plante magique ou plutôt une plante en laquelle est placée la foi, plante née du sperme d’un pendu. Rien à voir avec la logique du destin donc. Les deux personnages antagonistes, le jeune prince et le terrible Martin sont en fait les deux faces d’un même personnage, comme pour signifier d’une part que le prince n’est intéressant que s’il on voit sa part sombre et d’autre part qu’Agnès aime les deux personnages justement pour leur opposition radicale. Elle aime l’amour chaste et le sexe. Au cœur du récit, c’est encore une histoire de femme victime du patriarcat, condamnée à ruser et à manipuler pour s’en sortir. C’est toujours du côté de la femme que se situe l’intelligence humaine … et toutes les ambivalences. Car chez Verhoeven, il n’y a ni oie blanche, ni sainte. Au rayon religieux justement, Verhoeven décrit la foi comme un processus de manipulation des crédules par le pouvoir. De fait, elle permet de faire accepter les décisions autoritaires et elle est donc à géométrie très variable. On retrouvera cette idée dans Benedetta. Pour en revenir à la forme, c’est du cape et d’épée cracra. L’image n’a pas tant vieilli que ça mais elle manque de sel et de contrastes. L’interprétation est caricaturale mais au fond, ça colle avec le propos. A la musique, Poledouris signe sa première partition pour Verhoeven, une composition efficace mais trop présente car trop épique. Quant au développement du récit, il fait la part belle à une exposition bienvenue mais il souffre de quelques longueurs. En bref, c’est surtout pour ce qu’il raconte qu’on aimera la Chair et le Sang. Pour le reste, le film est de bonne facture mais semble parfois trop brouillon. Néanmoins, ça reste un fort bon moment.