Gozu
Un film de Takashi Miike
Au Festival du Film Fantastique de Gérardmer 2004, FANTASTIC’ARTS, les amateurs ont eu le plaisir d’assister à deux projections d’œuvres du plus déjanté des metteurs en scène japonais.
Dans le cadre de la programmation de la onzième édition de FANTASTIC’ARTS, il y eut d’abord The Happiness of the Katakuris, et ensuite Gozu, qui nous intéresse plus particulièrement ici. Avec Gozu, Takashi Miike s’est penché sur un de ses thèmes de prédilection, les relations entre membres de gangs. Le concept de départ est, comme dans bien des cas, totalement délirant. Il y est question du comportement étrange d’un des bras droits du caïd local.
Imaginez un peu : ce bras droit est en effet persuadé qu’un complot canin est en marche, et qu’il vise à éliminer l’ensemble des yakuzas. Du grand délire savoureux comme on l’aime, surtout quand l’on sait que le yakuza en question est interprété par un des acteurs fétiches du réalisateur, Sho Aikawa. Son personnage pense donc que les chiens projettent une vaste opération visant à débarrasser la Terre des yakuzas. Pour marquer son propos au beau milieu d’une réunion de caïds, il désigne alors un innocent chihuahua déambulant dehors, en l’accusant des pires intentions. Pris dans son délire, il sortira en courrant de la pièce, à la poursuite de la petite boulle de poils. On laisse aux spectateurs le soin d’imaginer la suite…
Cette courte introduction aura le mérite de faire sourire les amateurs, et d’éviter que les autres spectateurs ne se posent la question de savoir s’ils ont manqué le début du film. La suite sera déroutante et étrangement calme pour un film mis en scène par Miike. Le caïd décidera de se débarrasser de ce bras droit devenu encombrant, confiant la délicate mission au protégé du « déviant ». Tiraillé entre des sentiments contradictoires -obéir au grand chef et trahir celui qui l’a sorti du ruisseau, ou bien refuser sa mission et s’attirer les foudres du grand patron- le disciple se laissera finalement convaincre d’accomplir sa tâche.
Mais nous sommes chez Takashi Miike, et dans son univers rien ne se passe jamais comme on s’y attend. Le périple du héros prendra vite des allures de ballade surréaliste. Un peu comme si, une fois sortis des enceintes protectrices de la ville, le mentor et son disciple étaient entrés dans une autre dimension. Un monde parallèle, dans lequel tout serait différent, sans l’être tout à fait, avec des décors familiers, des personnages décalés et des rapports humains qui prennent toujours à contre-pied. Dans les histoires de Miike, il y a toujours une part de réel, et une place de choix pour le farfelu. Gozu ne déroge pas à la règle. Ainsi, le spectateur ne cherchera pas à comprendre les moments de délires extrêmes, il se contentera de les savourer sans arrière-pensées, pour les rattacher à l’histoire quand cela sera nécessaire. Une liberté que le réalisateur lui octroît, et qui est l’un des intérêts des réalisations de Miike. Car le cartésianisme n’a pas cours dans l’univers du délirant nippon.
La richesse de Gozu, l’impression d’avoir pénétré dans un rêve éveillé, font du film un moment envoûtant. Takashi Miike s’est en effet ménagé des plages dans lesquelles s’exprime un lyrisme qui, tout relatif qu’il soit, n’en présente pas moins l’avantage d’élever le film. Alors bien sûr certains éléments peuvent paraître annexes, mais tous contribuent à donner un sens à l’ensemble, jusqu’au dénouement, véritable renaissance annoncée depuis la seconde partie.
En réalisant Gozu, Takashi Miike a démontré, une fois encore, l’étendue de son imagination et son savoir faire technique. L’une et l’autre s’épanouissent toujours de concert, et semblent loin d’avoir épuisé toutes leurs ressources. Des nouvelles qui rassureront les cinéphiles, même si les amateurs du cinéaste nippon n’osaient guère en douter. Rappelons qu’avec plus d’une trentaine de films en un peu moins de dix ans, Takashi Miike est à la fois un metteur en scène prolifique et un conteur aux ressources imaginatives ne connaissant pas de limites, en tout cas certainement pas celles de l’auto-censure. Et c’est justement pour cela qu’on apprécie son cinéma.