Gus Van Sant décroche la Palme d’Or pour son métrage si particulier, ce malaise filmique qu’est Elephant. Surfant sur une certaine actualité blessante aux Etats-Unis, encore troublés par l’odieux massacre du lycée de Colombine, Colorado, encore sous le choc de film documentaire du Michael Moore, traitant du même sujet, voilà que le cinéaste apporte une nouvelle vision du drame dans toute sa froideur. Très intimiste, très voyeuriste, le film de Van Sant n’explique rien, ne développe ni les causes ni les conséquences, prenant le simple parti de faire du public les témoins hagards d’une atrocité ponctuelle que le commun des mortels ne peut concevoir. Découlant d’une simple crise d’identité, faisant suite à de nombreuses brimades, semble t-il, voilà que deux jeunes désaxés, ce que le film ne laisse jamais transparaître, entre un beau jour dans leur lycée et massacrent impunément tout ce qui passe au bout de leurs canons.
Distribué au format du distributeur HBO, Elephant trouble non pas de par son sujet, certes inquiétant, mais bel et bien de par son approche. En effet, Gus Van Sant, à vouloir à tous prix déshumaniser ses protagonistes, victimes comme bourreaux, fait de son film une vitrine de choc, toute dévolue à assister à l’impensable sans pour autant que les sentiments des uns et des autres n’y soient évoqués. Dès lors, les meurtriers semblent inconscients de leurs faits, jamais pressé, marchant d’un pas serein, les flingues à la main, dans les couloirs déserts d’un établissement scolaire qui connaîtra le deuil. L’on comprend dès lors que le but de Van Sant n’était pas de raconter une histoire mais bel et bien de démontrer l’atrocité d’une situation par le biais d’un regard extérieur, le regard d’un voyeur qui suit inlassablement les protagonistes, sans interférer avec eux. Sur ce fait, le film est hautement plus intriguant, plus surprenant qu’un drame traditionnel qui aurait duré une bonne heure de plus et qui n’aurait pu faire l’impasse sur les larmes et les cris du cœur.
Si cette vision des choses démontre aussi que le budget alloué au cinéaste n’était dès lors que peu conséquent, le sujet étant sensible, il met aussi en lumière que le réalisateur n’est jamais parti tourné avec l’envie que l’on y adhère. Les choses doivent donc se faire toutes seules. Dès lors, si bon nombre de cinéphiles seront stupéfaits, en bien, par la vision de Gus Van Sant, un certain nombre, pourtant, n’y verront qu’un mélodrame soporifique. Dans mon cas, si Elephant est une réelle bonne expérience, j’admets tout de même que la légèreté des plans, la vitesse d’enchaînement des séquences laisse à désirer. Disciple du travelling à la Stanley Kubrick, Gus Van Sant use et abuse du procédé dans les couloirs interminables du lycée, ce qui peut contrarier. Pour autant, l’impression de fin du monde qui régit l’acte odieux des deux gamins lors du dernier tiers du film n’aurait pas eu cette dimension sans cette longue phase d’adaptation.
Il y aurait sans doute bien d’avantage encore à dire sur l’un des plus grands succès critiques du réalisateur. L’esprit retors du metteur en scène, souvent très naturaliste dans sa démarche, accouche d’une fiction complémentaire au document Bowling for Colombine. C’est en soi une œuvre toute utile qui outre son aspect choquant, fait office de devoir de mémoire. Surprenant, c’est le mot qui convient parfaitement à ce film, à la limite de l’amateurisme d’un point de vue technique, mais très habile dans sa démarche, dans sa narration. Pour ceux qui n’aurait pas encore fait l’expérience Elephant, il s’agit de s’y mettre sans trop tarder. Dans le même registre, je conseil We need to talk About Kevin, que personnellement je trouve meilleur, dans un registre pourtant très différent. 14/20