La caméra est toujours placée derrière les personnages et les suit tel un fantôme, un témoin de ce qui se passe rappelé par le jeu de la photographie. L’élève photographe saisit les images témoins du drame. L’appareil photo, écho de la caméra, me semble être ce fantôme qui est aussi l’arme du crime. Or à l’origine, le cinéma est un rapport à la photographie…
Les élèves, c'est-à-dire les victimes, sont photographiés un à un avant d’être tués. Le bruitage de l’appareil est un écho du bruit de l’arme. C’est d’ailleurs lors de la photo prise dans l’université du jeune homme blond que ce bruit m’a frappé. C’est comme un coup tiré, le début du massacre. Les cartons avec les noms des élèves me semblent être un hommage à ces élèves. Peut être leur tombe. Ils apparaissent un à un durant le film. Ils se rapportent peut être aussi au temps qui s’écoule et aux élèves qui tombent un à un. Le rapport au temps qui avance est marqué par les longues séquences ininterrompues et les inserts, comme celui sur la pellicule de photo et la main de l’élève qui la tourne et la retourne ; l’écoulement des gouttes d’eau et le son définissent le « tic tac » du temps qui passe. Puis il étire la pellicule, c’est le temps qui s’étire. Puis il coupe la pellicule, le temps rétrécie encore pour s’achever.
Les nuages, le ciel qui noircit, c’est aussi le temps qui passe et le drame se rapproche petit à petit. Les flash back incessants traduisent le temps qui s’étend. Les images arrêtées répétitives, comme des photographies prises, sont les témoins de la dernière seconde de vie des élèves. Pour le seul qui y échappe, le blond, il y a un ralentit avec le chien….le seul échappatoire, cela inquiète. Le ralentit plutôt que l’image arrêtée traduit le temps qui continue pour lui. Les longs travelling de la caméra, les tours complets qui s’enchaînent dans la chambre, avec un fond musical très doux qui inquiète. Le temps est omniprésent dans le film. Il est d’ailleurs peut être le seul réel témoin de ce drame. Le temps qui court : la jeune fille qui dépasse l’élève, et par conséquent la caméra, et qui disparaît du champ de vision. Et le temps qui voudrait s’arrêter pour que le drame n’est pas lieu : l’homme qui passe avec le balais, va-t-il passer devant l’élève et réussir à l’arrêter et éviter le pire ?
Le drame de l’histoire n’est pas montré concrètement mais par des détails : les jeunes filles qui vomissent, les images lentes. Les dialogues, peu nombreux, sont aussi en rapport avec le drame. L’auteur joue avec la mort à travers son scénario. Le calme inquiète : peu de dialogue, peu de mouvements ou alors souvent très lents, de grande salles sans fin. Les paroles des élèves, les conversations sont des échos, elles raisonnent dans l’établissement. Idée de château hanté ? Dés le début du film, il y a des regards inquiets, par exemple la jeune fille sur le terrain de rugby. L’importance du rouge dans le décor de l’université qui semble être l’écho de la figurine en forme de diable dans la voiture. Le diable sépare l’image en deux avec un assassin de chaque côté. Les images en extérieur sont rares, la caméra se cache toujours dans l’ombre ce qui crée une ambiance sombre. Au niveau du son, on entend comme une respiration tout au long du film…qui est ce ? Cela renvoie au drame encore une fois . L’utilisation du floue dans les images est peut être la traduction de l’incompréhension de ce qui se passe. Ou alors encore le fantôme, l’invisibilité, le non savoir.
Lors de la séquence du jeu vidéo, la caméra prend place devant le fusil qui tue les personnages animés du jeu : long plan séquence enchaîné sur un plan américain de dos de l’un des tueurs. Effet de rebondissement. Le jeu traduit la tuerie qui va avoir lieu. Dans le jeu, ils sont tous tués, il n’y a pas d’exception, ils sont identiques aux yeux de l’assassin. Cela est répété dans l’université. Il sont tous exécuté, quels qu’ils soient. Les élèves présentés sont la représentation de tous les élèves. Les victimes ne sont pas choisies, tous les élèves, quels qu’ils soient, sont des victimes, il n’y a pas de critères. Lors de la tuerie, deux élèves tentent de s’échapper, et l’on distingue une ombre noire floue qui s’approche de la caméra. Cela traduit il le fait que ces élèves meurtriers auraient pu être nous ?
Le génie de Gus Van Sant c’est de savoir donner une place au drame grâce aux techniques du cinéma ; c’est de raconter par les images, c’est de créer l’ambiance avec le son et la lumière. Ce qui fait de ce film un chef d’œuvre c’est que quand on en sort, on ne sait pas quoi dire, on est juste bouleversé.