D'abord, on ne sait pas trop si on doit mettre 0,5 ou bien 5 étoiles. Pour un spectateur élevé au divertissement hollywoodien, formaté pour un cinéma ultra-aseptisé, voir un film comme Elephant relève du voyage initiatique, du grand saut dans l'inconnu. Alors forcément ça fait peur. Elephant, c’est 1h20 de plan-séquences dans les couloirs d’un lycée américain banal, de discussions insignifiantes sur les copines et les soldes, sur les bracelets arc-en-ciel et les vêtements roses, ça tourne en rond, au propre comme au figuré, ça ralentit, ça accélère, ça revient en arrière, ça semble ne jamais devoir s’arrêter. S’inspirant d’un fait réel (la tristement célèbre tuerie de Columbine), Gus Van Sant tire un film carrément abstrait, à la forme tellement simpliste qu’elle en devient ultra-cérébrale et sophistiquée. Avec un tel sujet, on s’attend à un film réaliste et terre-à-terre ; que nenni ! La narration non-linéaire, la photo aux couleurs saturées, les plans célestes sur bande-son orageuse, les réactions peu naturelles des victimes face à leur bourreau, le titre aussi, tout cela donne à Elephant une dimension quasi-fantastique à la limite de l’onirisme absolu. La mise en scène tantôt distante, tantôt immersive, jamais prévisible, distille une tension latente qui explose dans un coming-out misanthrope et haineux. Plus que toutes les autres interprétations d’un acte inexplicable, c’est la dimension sexuelle qui intéresse Van Sant ; les deux tueurs sont explicitement gays, tuer leur procure l’orgasme refoulé. En prenant de grandes libertés avec l’horrible réalité, Elephant devait immanquablement provoquer la polémique, il n’empêche que la douce folie d’une œuvre étonnante, son atypisme déroutant forcent l’admiration - et donc à la bonne note - même s’il demeure difficile de mettre 5 étoiles à un tel film.