3sur5 Tous les maîtres en ont un, voici l'accident de parcours et l'échec commercial qui précipitera Winding Refn dans de graves difficultés ; ces épreuves auront du bon, puisqu'elles vont permettre au réalisateur de réaliser ses chefs-d'oeuvres Pusher 2 et Pusher 3 dans un contexte d'urgence qui instillera aux films une formidable énergie. Inside Job/Fear X réunit une équipe de choc : Brian Eno à la BO, Larry Smith (chef-opérateur de Kubrick) pour la photo, le romancier Hubert Selby au scénario (auteur fétiche de W.Refn ayant notamment signé les cultissimes Requiem for a Dream et Last Exit To Brooklyn). Résultat sensoriel et sensationnel garanti. A moins que...
Toute la première demi-heure est consacrée à illustrer la morosité du personnage majeur (dont on connaît mal l'identité), son quotidien partagé entre un travail sans valeur (il est vigile dans un supermarché) et des soirées à regarder des vidéos d'enregistrements, et les investigations policières concernant le meurtre de son épouse. L'atmosphère est clinique, les échanges minimalistes, le mystère épais. Pas sûr que tout le monde surmonte cette peinture lynchéenne sous prozac. Mais ce serait une drôle de faute d'appréciation, parce que le film, sans égaler, loin, très loin de là, les Pusher ou Bronson, propose une immersion aussi aventureuse et étonnante, sans doute moins profonde, que celle vécue avec la vision de Valhalla Rising. Les deux films ont d'ailleurs en commun une rupture par paliers avec la réalité (moins ''marquée'' et expéditive mais plus ''suggestive'' et saisissante dans le dernier film en date de leur auteur).
Parce que Winding Refn installe progressivement les fantasmes du héros, qu'il incruste à sa réalité. Le spectateur partage la vie intérieure et les expériences concrètes d'un homme seul, de plus en plus seul. Le titre du film paraît plus limpide, en même temps qu'on demeure perdu ; la peur est inconnue, ses motifs sont troubles. L'oeuvre est déroutante et les zones d'immersion improbables, comme cet hôtel étrange rappelant celui du début d'Intacto. C'est une traversée faites de sublimations douces et vaporeuses, de reproductions symboliques, de personnages aériens intervenant en écho à des visages authentiques mais qu'un psychisme a dénaturé... Un puzzle mental, traduit par des effets de miroir ainsi qu'un naturalisme faussement terre-à-terre et tapissé de trouées surréalistes, pour faire court.
Mais ce n'est pas seulement un exercice de style, c'est aussi un thriller, au ton inhabituel donc, mais aussi tout à fait rationnel dans le fond (d'ailleurs, les séquences oniriques et autres abstractions sont reconnaissables, même si elles tendent à se confondre toujours plus avec le réel) : des indices permettant d'anticiper l'orientation du récit sont semés dès le début ; il faut s'attacher aux détails de la vidéo du meurtre, par exemple. Rationnel oui, mais jusqu'à une certaine limite ; toutes nos hypothèses semblent s'effondrer à mesure que le récit avance, pour créer de nouvelles perspectives toujours plus difficiles à cerner. Dès lors, on peut estimer qu'il s'agit de n'importe-quoi scénaristique et effectivement, ce brassage de perceptions vire à la fumisterie. Finalement, l'abstraction est dans le réel, puisqu'on ne sait plus à quelle échelle se loge celui-ci. Embarrassant ou excitant, c'est selon la sensibilité. Mais toute cette mécanique tourne alors à vide.
Le film en soi est attrayant par son originalité et sa réussite formelle (le résultat est parfois parfaitement planant), mais il est aussi un casse-tête trop ardu à résoudre et qui, surtout, paraît complexe en vain. Dans ces conditions, comment ne pas sentir ce petit goût de déception contradictoire, ce goût perçu lorsque vous êtes à la foi satisfait d'un spectacle si prenant (globalement) et abouti et amer de voir un potentiel pygmalion comme Winding Refn s'être engagé dans une voie certes intrigante, mais sans issue ? Que reste-t-il du film ? C'est un voyage dans un quelconque subconscient, son emprunte est singulière mais l'audace est circonscrite à une technique rôdée, ses envolées fantasmagoriques sont aussi maigres que troublantes, son sens échappe. On aura voulu allez jusqu'au-bout, incapable de faire autrement, mais on ne saurait trop s'en réjouir. L'expérience ''Inside Job'' confine à l'hypnose ; les moyens employés vont en ce sens, le mobile en lui-même est moins convaincant. Nous avons vu l'objet, nous doutons du sujet. Inside Job rappelle davantage les expérimentations timides, sans fin et sans fond, de Sleepwalker, que la virée métaphysique hors de contrôle Lost Highway, ce ''grand tout'' auquel le rêve éveillé à la fois atone et surchargé de Winding Refn a, manifestement, été comparé à tort.