Nombreux sont ceux qui ont craché toute leur morve sur cette séquelle à sa sortie, la gratifiant des pires insultes. Encore aujourd'hui Robocop 2 souffre cruellement de cette comparaison rédhibitoire avec son illustre aîné. Alors certes, cette suite n'est pas aussi subtile et pertinente que le film de Verhoeven. Pire, le film parait s'inscrire dans une démarche purement opportuniste et putassière de la part des exécutifs d'Orion visant à faire plus violent, plus choquant, plus caustique que le précédent opus tout en passant à côté de ce qui faisait l'essence du chef d'oeuvre de Verhoeven. Et pourtant, même si Robocop 2 n'atteint jamais le niveau d'excellence de l'original, il n'en reste pas moins doté d'indéniables qualités.
En 1989, la firme Orion est au pied du mur. Ayant dû vendre l'essentiel de son catalogue pour renflouer une partie de ses dettes, la firme tient à peine debout. Pour éviter la faillite, il lui faut absolument renouer avec le succès au box-office. Problème : les investisseurs étrangers n'acceptent de capitaliser que sur une seule franchise, la dernière qu'il reste à Orion (la société a vendu les droits de Terminator à Carolco, firme qui réussira l'exploit de faire faillite juste après le carton planétaire que fut son Terminator 2), soit Robocop. Orion mise donc tout sur son dernier atout, mais une oeuvre tout aussi réussie soit-elle n'est pas toujours gage de rentabilité, preuve en sera l'accueil glacial du film à sa sortie.
Jon Davison, principal propriétaire de la franchise, doit faire face à un problème de taille. Alors que la pré-production prend forme sous l'égide du réalisateur Tim Hunter, (Verhoeven étant parti filmer Schwarzy sur Mars), l'Union des scénaristes décrète une grève générale. Par solidarité pour leurs collègues, Ed Neumeier et Michael Miner, les scénaristes de l'opus original, refusent d'écrire une seule ligne de script durant toute la durée de la grève (ils auront tout de même auparavant écrit un premier jet alléchant intitulé Corporate wars lequel s'annonçait comme le précurseur d'un éventuel cross-over entre les personnages de Robocop et de Terminator). Davison n'a plus d'autre choix que d'embaucher un scénariste non syndiqué, n'ayant jamais oeuvré pour le cinéma ou la télévision. Plus encore que vers les écrivains de SF, son choix s'oriente vers les scénaristes de comics (lesquels auront grandement influencé le film original). Après avoir essuyé un refus d'Alan Moore, le génial auteur anglais de Watchmen entre autres, Davison se tourne vers l'autre star du comics des années 80, à savoir le ricain Franck Miller, qui, tout auréolé de gloire après avoir ressuscité le Caped crusader et Daredevil dans les comics, accepte avec joie de s'essayer à la scénarisation de film. Il déchantera très vite devant les nombreuses réécritures qui lui seront imposées. N'ayant jamais été satisfait du film que l'on tira de son script, le célèbre scénariste proposera une décennie plus tard son scénario de Robocop, en comics cette fois. Mais le résultat à l'écran reste suffisamment impressionnant et réussi qu'il est difficile de comprendre son mécontentement.
Tim Hunter ayant fini par claquer la porte cinq mois plus tard pour cause de désaccord artistique (notamment avec Frank Miller), Jon Davison se tourne alors vers ce vieux briscard d'Irvin Kershner déjà responsable neuf ans plus tôt de la réalisation du plus estimé des Star Wars.
Le casting quand à lui, reste inchangé pour les personnages qui ont survécus au premier film (très peu) et à la hauteur pour les nouveaux. Le nouveau réalisateur et l'essentiel de son équipe engagés, le budget débloqué (35 millions de dollars soit trois fois l'enveloppe du premier film), Kershner doit cependant faire face à un délai restreint pour livrer son film en temps et en heure, la date de sortie du film ayant été décrétée sans possibilité de la repousser. Le réalisateur dispose d'à peine sept mois pour réaliser cette suite (pré-prod, tournage et post-prod tout compris). Une tâche laborieuse et oppressante, qui n'empêchera pas Kershner de livrer une suite surprenante sur bien des points.
Marchant sur les traces de son cadet, Kershner poursuit la mise en images d'une société urbaine décadente dans le même état où Verhoeven l'avait laissé. Il se réapproprie ainsi l'utilisation de médias tels les flash infos et les publicités pour baliser son intrigue et y décrire la croisade de Robocop parti en guerre contre un chef de secte psychopathe et drogué contaminant les rues de la métropole avec une nouvelle drogue de synthèse qu'il vend à prix cassé à toutes les franges de la population. Ce dernier après une confrontation avec Robocop finit dans un état catatonique et tombe entre les mains d'une cadre arriviste de l'OCP, une psychologue dénommée Carfax, qui a l'excellente idée de le métamorphoser en cyborg gargantuesque.
Tout dans Robocop 2 vise la surenchère. Plus de violence, plus d'humour, plus de personnages gratinés. Après une intro in media res exposant à nouveau un contexte social déplorable et une grève générale de la police de Détroit, le scénario embraye sur une séquence astucieuse dans l'escalade visuelle du crime qu'elle propose. Dans une rue sordide des bas-fonds de Détroit, nous assistons à une succession d'agressions où un voleur à la tire se voit immédiatement après son forfait dépouillé de son maigre butin par deux putes qui s'empressent d'aller payer la dette qu'elles doivent à leur père, après quoi la vitrine d'un magasin d'armes vole en éclats sur leur passage, laissant place à un braquage sanglant et tout cela en toute impunité, les malfaiteurs profitant allègrement de la grève de la police pour commettre leurs méfaits. Jusqu'à ce que Robocop (qui n'est pas syndiqué, lui, contrairement aux scénaristes d'Hollywood) entre en scène...
La trajectoire dramatique du héros s'étant conclue avec le premier film, il était inenvisageable pour une suite de ne pas réinvestir le personnage dans sa fonction tout aussi superficielle que primordiale de justicier hardcore. Ainsi, Murphy, comme un dernier rempart au chaos, use-t-il de son statut particulier de surhomme (et de super-héros) pour faire respecter la loi et ce malgré la grève de ses collègues. Dès lors se pose la question suivante, Murphy après s'être affranchi de son esclavage aurait-il régressé à nouveau au statut de Robocop et de simple pantin de l'OCP, au point de rendre caduque toute l'évolution de son personnage dans le premier film ?
Il est intéressant de voir à quel point Robocop 2 prend le contre-pied de son prédécesseur et les attentes du public. Là où dans le premier film, le héros retrouvait peu à peu son humanité jusqu'à ôter son casque symbolique pour ne plus le remettre, cette suite voit Murphy réinvestir volontairement sa condition de machine cyclopéenne jusqu'à ironiser en toute fin de film sur la vanité de l'existence humaine tout en s'apprêtant une nouvelle fois à tomber le masque. Hors nous ne reverrons plus le visage de Murphy après qu'il se soit fait tailler en pièce en milieu de métrage. Est-ce un hasard si dès lors qu'il arbore à nouveau son casque, l'intrigue laisse place à une succession de séquences d'actions ?
Murphy subira bien quelques réminiscences du passé en début de métrage, via l'image de son fils qu'il transfère à tort sur le personnage de Hobb (il parait que certains pensent encore que Hobb est le fils de Murphy).
De même, sa quête initiale pour retrouver sa famille, élément dramatique que l'on attendait plus développé, et ses tentatives de leur manifester sa présence se voient expédiées dès les premières minutes par un dialogue stérile entre Murphy et sa "veuve".
Dès lors, le héros ainsi outrageusement (?) débarrassé de tout enjeu personnel, il s'agit de faire place à la véritable raison d'être de cette suite : un déluge de causticité, de fusillades et d'ultra-violence, où dans la droite lignée du premier film, les dirigeants de l'OCP continuent leur OPA agressive sur Détroit, leur politique de rachat de la ville se confrontant au nouveau maire, tandis qu'un gamin pré-pubère cultive l'ambition de diriger à lui-seul (et en costard-cravate s'il vous plaît) un cartel de la drogue. Oui, ce monde-là est vraiment mal-barré.
Mais c'est sans compter sur la volonté farouche de Murphy (mais parle-t-on encore de Murphy ou de Robocop ?) de mettre fin à ce jeu de massacre.
L'humour et la satire sont toujours aussi présents, notamment en milieu de métrage à travers cette séquence qui provoqua la consternation des fans, où Murphy se voit reprogrammé par Carfax et l'OCP via l'ajout de plus de deux cents (!) directives redondantes et contradictoires dans son programme pour devenir un modèle civique prônant les valeurs morales de l'American way of life. C'est donc un Robocop volubile qui déboule un temps dans les rues, déambulant la fleur au fusil, faisant inutilement la leçon aux délinquants de tout poil et de tout âge et perdant ainsi de son aura et de sa crédibilité auprès de la population et surtout auprès des enfants (et de certains fans mal embouchés), lesquels l'insultent allègrement sans que celui-ci ne bronche. Il faut aussi le voir convaincre d'une manière hautement dissuasive, un pauvre fumeur d'arrêter la cigarette pour son bien (ou comment annoncer la bien-pensance des années 2000 avec dix ans d'avance). Aberrante pour certains spectateurs, l'idée reste pertinente vu le statut contradictoire de cyborg du héros. Véritable farce aussi irrévérencieuse envers son personnage-titre qu'envers les exécutifs des studios (les cadres de l'OCP qui débattent sur la reprogrammation de Robocop ne sont que ceux d'Orion débattant sur le script), cette séquence aurait selon certaines sources expliqué à elle-seule l'échec commercial du film en salles, (le public n'ayant tout simplement pas supporté de voir le héros décrédibilisé de la sorte). Aujourd'hui, elle sert à contrario d'influence tout comme cette scène voyant la démonstration absurde et désastreuse de deux cyborgs suicidaires (séquence reprise partiellement pour une démonstration du même genre dans Iron Man 2).
Le fait est que tout humain puisse-t-il se revendiquer malgré les apparences, Murphy est toujours considéré comme une simple machine par ses propriétaires de l'OCP. Tout aussi efficace soit-il, Robocop est une création dont ils ont perdu le contrôle à la fin du premier film. Mais ce n'est pas pour autant que Murphy est libre. Il est une propriété, un produit parmi tant d'autres (une scène montre une exposition de plusieurs modèles de robots concus par l'OCP et dont une statue à l'effigie de Robocop fait partie). Ainsi, quand il est littéralement mis en pièce en cours de métrage, l'OCP gèle momentanément le coup de sa réparation tant il leur est devenu gênant et qu'ils semblent fonder de grands espoirs sur la conception d'un nouveau modèle.
Le titre Robocop 2 ne désignant pas seulement le statut de séquelle du film mais ce second modèle, c'est bel et bien le bad guy du film qui se voit métamorphosé à son tour en cyborg. Ainsi, Caïn, incarné par cette grande perche de Tom Noonan sous sa forme humaine, se révélera être la némésis de notre héros, en accédant au même statut mécanique que lui en plus imposant, plus massif et plus fort. Le film se conclut alors en apothéose à travers un pugilat de plusieurs minutes et s'étendant à plusieurs étages d'un building de l'OCP, opposant notre rassurant Robocop à un prodigieux monstre d'acier, animé image par image par Phil Tippett, et évoquant (pour la première fois en cinéma live) tous les méchas nippons de la japanime de notre enfance. En ce sens, le climax de Robocop 2 reste un pur moment de bravoure encore impressionnant à regarder de nos jours malgré l'omniprésence et la banalisation actuelle de certains films de robots (la scène sera de plus, quasiment reprise telle quelle dans le final d'Iron Man, les morts en moins évidemment).
Et malgré certaines fautes de goûts (dont le score de Leonard Rosenman parfois à côté de la plaque et des cuivres, tout comme ces réclames fictives bien moins pertinentes dans leur utilisation que celles du premier film) dues probablement aux attentes du public et des exécutifs d'alors, Robocop 2 reste encore un très bon divertissement et une séquelle qui, sans atteindre la puissance dramatique et l'habileté satirique de son modèle, arrive au moins à en proposer une appréciable continuité.