Valmont est un tour de force. D’abord parce que Miloš Forman et son scénariste Jean-Claude Carrière ont compris ce que signifiait adapter au cinéma une œuvre littéraire : ici pas de poses, pas d’impressions de galimatias pompeux et forcés ; non, c’est à une histoire simple et accessible que nous assistons, dont nous percevons les enjeux profonds. Les personnages sont certes d’un autre siècle, et pourtant ils nous semblent familiers. Leur langue, leurs motivations, leurs actions, tout cela est limpide, coule de source. Là se tient la deuxième qualité du long métrage : sa propension à couler naturellement. Les scènes s’appellent les unes les autres, le montage réussit admirablement bien à accélérer et décélérer selon les besoins de l’intrigue, en témoigne une séquence quasi épique au cours de laquelle Valmont chevauche en direction de Paris – et de la Présidente –, course filmée comme un jeu de miroir entre l’ivresse du cavalier et la fougue de sa monture. Le directeur de la photographie, Miroslav Ondříček – un des fidèles de Miloš Forman –, compose ses plans comme de petits tableaux, sans surcharge aucune ; en résulte une reconstitution historique jouée en mode mineur, qui brille par la finesse de son cadrage, par les textures et la couleur des étoffes, par un travail de la lumière remarquable. Enfin, et ce serait là la troisième qualité du film (pour ne pas en donner quatre ou cinq ou six), la duplicité des protagonistes est exploitée avec intelligence : chacun paraît revêtir un masque et prendre part dans une microsociété définie comme bal costumé ; les intérêts individuels, quoique fort bien expliqués au spectateur, sont recouverts par différentes couches de mensonge, à l’instar du corps féminin dont la nudité résulte d’un long et pénible défeuillage préalable. Porté par d’excellents acteurs, tous excellemment dirigés, Valmont prend des libertés à l’égard du roman de Choderlos de Laclos, mais cet affranchissement – pour ne pas dire ce libertinage – lui permet de donner corps et vie à des personnages auxquels nous croyons, auxquels nous nous attachons, et qui ne paraissent pas sortis d’un musée de cires. Un immense film, romanesque et dotée d’instants sublimes, qui prouve que même un libertin ne peut se passer d’aimer.