L’intrigue du film "Le Roi et Moi" se base sur le récit d’Anna Leonowens, une britannique née dans les Indes, qui au cours de ses nombreux voyages passa cinq ans en tant qu’institutrice pour les enfants du roi de Siam (le roi possédant un harem, sa progéniture remplit aisément une salle de classe). D’abord montée en comédie musicale pour Broadway en 1951, l’histoire est ensuite adaptée pour le cinéma et sort dans les salles en 1956.
Film assez lent, "Le Roi et Moi" développe surtout le choc culturel que ressent une femme britannique qui découvre soudain une culture très différente de la sienne et au sein de laquelle la femme n’est guère plus qu’un objet dédié au plaisir de l’homme et qui n’a guère voix au chapitre. Anna Leonowens étant elle-même plutôt avant-gardiste, elle se plie aux lois locales avec réticence et ne manque jamais de faire remarquer au roi l’absurdité de certaines de ses décisions, allant régulièrement jusqu’à la confrontation, ce qui lui voue l'admiration des uns et la méfiance des autres, qui l'accusent de vouloir bousculer les traditions.
Deborah Kerr interprète une jeune femme britannique belle et cultivée, qui tente de concilier ses croyances avec celles du monde dans lequel elle se trouve et qui est radicalement différent de tout ce qu’elle connait. Yul Brynner joue le roi de Siam qui, même s’il est bien intentionné et souhaite entrer dans le « monde moderne », est pétri de croyances qui l’empêchent de réellement comprendre Anna ou ce qu’elle représente. Les deux personnages se découvrent, s’apprécient, s’aiment peut-être - bien que ce ne soit jamais réellement explicité dans le film - mais ne se comprennent pas, et s’opposent sur des croyances fondamentales qui les empêchent d’être quoi que ce soit l’un pour l’autre. Là où Anna avoue n’avoir jamais oublié son mari, le roi s’entoure de nombreuses femmes, et là où les Siamois ne voient que des traditions, Anna se révolte contre des coutumes d’un autre âge - lorsque le roi veut fouetter l’une de ses femmes pour désobéissance, par exemple.
Plus que la performance de Deborah Kerr, c’est celle de Yul Bruner qui m’a le plus marqué, sans doute en partie à cause de son physique et de son expression très particulière. Il est difficile d’oublier cet homme bourru qui marche pieds nus, crâne rasé, et ne s’exprime que les poings sur les hanches et en fronçant les sourcils. Néanmoins malgré son apparence presqu’effrayante de roi campé sur ses positions, il devient touchant quand il essaye de comprendre l'institutrice, ou qu’il lui demande finalement de l’aide lorsqu’il est qualifié de « barbare » par les anglais. Sans doute peu renseigné sur le monde extérieur - sa maîtrise de l’anglais est approximative, ses notions de géographie se limitent au Siam et à la Birmanie - il se révèle réellement désireux de faire entrer son pays dans la modernité, bien qu’il n’ait que des notions assez vagues en matière de diplomatie (comment, les anglais n’ont pas d’éléphants ? Il faut leur en envoyer !).
Malgré le temps qui passe, les costumes et les décors restent sublimes et justifient à eux seuls le visionnage du film, pour le côté grandiose qu’ils lui apportent. Evidemment, ça vieillit, car le film a tout de même presque 60 ans, néanmoins j'y crois toujours. J'apprécie notamment la scène où les femmes du monarque présentent une mise en scène de "La Case de l'Oncle Tom" : cette histoire dans l'histoire donne la part belle aux costumes et aux croyances locales. Les tenues des siamois (si, c’est comme ça qu’on appelle les habitants du Siam, j’ai cherché) sont très colorées, et si elles manquent peut-être de réalisme, elles créent une ambiance très particulière qui pour ma part m’a plongé dans le film. Les chansons ont elles aussi un vrai rôle, et sont l’occasion de très jolies scènes : les enfants du roi qui dansent en imitant la robe à crinoline d’Anna, ou la valse (?) du roi et de l’institutrice sur l’air désormais bien connu de "Shall we dance ?"
Il n’y a pas de réel fil rouge dans le récit, on se contente de suivre l’histoire à travers les yeux d’une jeune femme britannique qui n’a aucunement l’intention de devenir une servante docile et silencieuse et qui contredit régulièrement le monarque qui n’en a visiblement pas du tout l’habitude.
La beauté de ce film réside pour moi dans la poésie de certaines scènes entre les personnages : le prince qui découvre avec étonnement que son père ne sait pas tout, et lui déclare : « Mais vous devez savoir, parce que vous êtes roi ! », ou bien celle entre les femmes du harem royal et Anna, qui leur décrit son mari et la possibilité saugrenue qu’un homme puisse ne s’attacher qu’à une seule femme.
Ce film est indéniablement celui que j’ai le plus vu, enfant, et j’en garde un souvenir qui ne s’est pas terni avec l’âge (et les très nombreux visionnages). Je le conseille pour la beauté des décors et la poésie réelle des dialogues. Un joli moment de cinéma.