L'histoire commence par un flash-back, qui dure les quatre cinquièmes du film. S'apprêtant à donner un concert dans la prison de Folsom, Johnny voit une scie circulaire qui lui rappelle celle de l'atelier où travaillait son grand frère, et qui causa sa mort. Car comme dans "Ray", tout part d'un traumatisme, celui de la mort d'un frère, et de la culpabilté de survivre. Elevé dans une famille de petits blancs du Sud tout droit sortis des "Raisins de la Colère", Johnny doit faire face à l'hostilité de son père, et part à l'Air Force en Allemagne, "même pas en Corée, là où on se bat". Il épouse Viv dont il a trois filles, vivote comme V.R.P. et gratte la guitare avec deux amis. Jusqu'au jour où, interrompu après quelques mesures de gospell par un producteur et sommé de chanter quelque chose de plus personnel, il réussit à le convaincre avec une histoire de bad guy qu'il a composé en Allemagne.
Commence alors le succès, et ce qui va avec : la vie de tournée avec Jerry Lee Lewis et Elvis Presley, les filles qui se donnent au sortir de la loge, la distance qui se crée avec la vie de famille, les pilules qui aident à tenir le coup. Et puis June Carter, qu'il écoutait à la radio avec son frère quand, âgée de dix ans, elle chantait déjà dans le groupe familial. Commence alors un long chassé-croisé entre eux deux, la nature de leur relation oscillant entre une complicité artistique et un amour qui n'arrive pas à se reconnaître, dans une Amérique puritaine où le divorce de June lui vaut la malédiction de bien-pensantes rencontrées à l'épicerie du coin.
"Walk the Line" est un biopic, une biographie d'un mythe américain, genre très en vogue dans le cinéma hollywoodien, de "Lenny" à "Ray" en passant par "Malcolm X" ou "Aviator". Il en épouse les règles du genre : la lente ascencion après des années de vaches maigres, la déchéance (en général la drogue et/ou l'alcool), et la rédemption grâce à la fille de sa vie, mais qui est rarement l'épouse, depuis longtemps transformée en marâtre...
Sans parler de la psychologie racontée aux petits Américains (ou comment économiser sept ans d'analyse lacanienne en deux heures), et le difficile rachat aux yeux du père, convaincu à chaque désintoxication que décidemment, le fiston n'est qu'un bon-à-rien.
Sorti un an après "Ray", ce film souffre un peu de la comparaison, et cette proximité renforce le sentiment de déjà-vu que l'on ressent très fort. Mais il réussit quand même à intéresser grâce au jeu des deux acteurs principaux. Joaquim Phoenix est assez mono-expressif (jouer un shooté n'aide pas beaucoup), mais il sait trouver une sorte d'animalité trouble quand il chante. Quant à Reese Witherspoon, grâce à qui on peut suivre trois décennies de folies capilaires (vive les biopics !), elle est très crédible dans son personnage de celle qui a appris à être drôle, parce que c'est sa grande soeur qui avait la voix... Dès la scène de leur rencontre, sans doute la meilleure du film, elle fait appel à une palette complète d'expressions et joue de sa séduction, qui opère sur le spectateur comme elle opère sur Johnny.
Et puis, qualité non négligeable pour un film musical, les scènes de concert sont très bien filmées, d'autant plus qu'elles ne sont pas là comme de simples illustrations, mais comme des moments privilégiés de l'intrigue. A tel point que l'on regrette qu'il n'y en ait pas plus, pour (re)découvrir les chansons de Johnny Cash et de June Carter, qui sont ici interprétées par les deux acteurs.
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