John Ford est le maitre du western. Quelque soit le genre de film qu'on aime, Ford a fait un western qui y correspond et qui est excellent. Il est impressionnant de voir comment Ford réussit à tout faire avec le western: film d'action, réflexion sur l'histoire, film sur l'armée, film sur la vieillesse, film sur la violence, l'amour, la vengeance, l'éducation, le rôle de la presse, les valeurs familiales, la religion, tout y est passé dans l’œuvre de Ford. Et derrière cette variété des thèmes abordés, Ford réussit à maintenir un ton qui lui est propre. Ce ton, c'est d'abord les acteurs qui le donne, acteurs qui reviennent film après film: Wayne, Bond, Devine, Miles, Fonda, McLagen... Le ton est marqué par l'importance des personnages secondaires, qui sont beaucoup plus travaillés, que dans la plupart des autres films. Ford leur donne une personnalité, des singularités, ce ne sont jamais des anonymes , mais bien au contraire des personnages qui marquent le spectateur dès leur première apparition; il parait que Ford demandait à ses scénaristes d'écrire une biographie de tous les personnages qui avait une phrase de dialogue dans le film. Ce qui est certain, c'est que les personnages secondaires donnent le ton à l'histoire. Dans la prisonnière du désert, il y a en particulier deux personnages secondaires qui dominent chacune de leur scène par leur personnalité très singulière: le révérend/capitaine et Moses.
Ford à travers ces personnages secondaires haut-en-couleur évite de faire un film trop sombre. Le film alterne entre les scènes légères, la comédies burlesques et la violence tellement effrayante que le réalisateur la garde hors-champ. Ainsi nait le ton très singulier de l’œuvre, qui telle la vie quotidienne alterne à toute vitesse entre le drame, la joie, la souffrance, la légèreté, l'amitié et la solitude. Toutes les dimensions de la vie se succèdent. Généralement la camaraderie l'emporte chez Ford sur la solitude mais ici ce n'est pas le cas car le personnage d'Ethan est l'un des plus solitaire de l’œuvre de Ford. S'il semble parfois se prendre d'amitié pour Moses, il reste toujours séparé des autres, et pire il semble l'être par choix. C'est u personnage qui creuse sa propre tombe, qui s'énerve contre son frère ou plombe l'ambiance du dîner par des remarques racistes dès son arrivée. Une des plus belles scènes: la mère Jorgensen qui demande à Ethan de ne pas laisser les jeunes se perdre à la recherche d'une vengeance qui ne leur apportera rien. Elle implore, et il part sans se retourner, toute son attention tournée vers le cheval.
Ford est impressionnant par sa capacité à ne pas juger ses personnages. Jamais il ne donne l'impression d'être plus à même de juger les personnages que les spectateurs. Quand tant d'artistes en littérature ou au cinéma cherchent à faire partager au spectateur leur point de vue sur leur personnage, à tenir un discours moral ou politique à travers leur personnage, Ford réussit à éviter ce pêché mignon et donne à son œuvre toute son ambiguïté, sa force et son pouvoir de fascination. Tous les personnages ont des bons et mauvais côtés. Ethan est raciste, violent, manipulateur, mais aussi cultivé, grand connaisseur de la culture indienne, dont il reprend même certains rituels. La vraie ambiguïté du personnage d'Ethan vient du fait qu'on ne sait pas s'il pourchasse les indiens cinq ans durant par haine des indiens et goût de la vengeance et de la violence qui dénature son rapport aux valeurs familiales, ou par amour, par espoir de pouvoir encore sauver ce qui peut l'être.
Martin a un bon fond et c'est à lui que le spectateur s'attache, mais la vengeance va l'éloigner de Laurie, et il se laisse lentement consumer par un sens de l'honneur et de la famille qui le sépare de ce qu'il aime. L'ambiguité de Ford peut jaillir en un éclair comme lorsque Martha caresse le manteau d'Ethan sous le regard du révérend, un plan rapide, simple, et qui pourtant peut changer toute l'interprétation qu'on fait du propos de Ford. C'est dire s'il ne faut pas chercher dans cette œuvre ce que Ford veut dire mais plutôt ce qu'il veut nous amener à dire.
Ford soulève des questions, donne des éléments de réponse et laisse le spectateur réfléchir. Il fait une œuvre artistique, visuellement c'est magnifique, le récit est celui de la vie, et le message est celui que le spectateur comprendra. C'est probablement cela l'art.