Dix fois plus percutant, de mon point de vue, que le surrestimé "L'esquive", ce documentaire a pourtant le même souci, seulement encore mieux exploité, de vouloir montrer ce que notre société nous cache le mieux possible. Ici on n'est pas seulement plongé dans les cités, mais aussi dans les tribunaux, dans les caves, dans les hotels délabrés et dans les prisons... autant de lieux où règne la misère, où l'homme est traité comme l'animal; autant de lieux qu'on couvre d'épouvantables clichés, où qu'on nous cache, à nous, Français, "bourges", privilégiés et superficiellement civilisés, endoctrinés par la société de consommation, nous qui vivons dans l'illusion quotidienne de l'égalité des chances. Car c'est ce que ce dont ce documentaire exceptionnel veut nous faire prendre conscience, ce qu'il réussit parfaitement: quand on nous parle de l'égalité des chances, c'est du mensonge, c'est de la manipulation: c'est de la tentative d'aveuglement. On essaie d'effacer tout éventuel problème de conscience, comme l'explique si bien Patric Jean, sur un ton de profonde détresse. Mais le réalisateur ne commente que rarement: il fait l'introduction et la conclusion de son oeuvre, et quelque rares mots prononcés par-ci par-là. Le reste du film, il s'efface. En effet, ici les faits se suffisent à eux-mêmes, ils se passent de commentaires. Les témoignages sidérants sont bien plus percutants lorsqu'ils laissent le spectateur constater l'injustice par lui-même. "La Raison du Plus Fort" n'est certes pas un grand moment de cinéma, mais ce sont des témoignages tous plus émouvants les uns que les autres d'une réalité soigneusement dissimulée, des témoignages volés à une France captialiste d'un cynisme révoltant.