"L’étrange créature du Lac Noir" ou le premier (et dernier) film d’horreur iconographique des studios Universal des années 50 qui marque également la fin d’une époque, celle de l’âge d’or des films de monstres… même s’il faut reconnaître que plus grand chose de nouveau n’était sorti du studios depuis plusieurs années (depuis "Wolfman" en 1941 en fait). Et ce chant du cygne horrifique porte les stigmates de cette fin de règne. En effet, malgré les 25 ans qui séparent la sortie de "L’étrange créature du Lac Noir" (en 1954) et celle de "Dracula" (en 1931), difficile de ne pas être frappé par la principale carence du film de Jack Arnold… à savoir l’élégance de ces prédécesseurs. Et ce n’est pas seulement parce que, contrairement au Dracula, Frankenstein et autre Homme Invisible, cette étrange créature ne sévit pas dans le passé mais dans une épouqe contemporaine. Le problème du film réside plutôt dans la mise en scène, avec une caméra visiblement pas très fixe qui donne, à l’écran, une image peu stable, aggravée par une photo pas forcément extraordinaire et des décors un peu artificiels. On sent bien que les ambitions des producteurs n’étaient pas de faire dans l’esthétique mais dans l’innovant. Car "L’étrange créature du Lac Noir" restera comme le premier film en 3D sous-marin et le réalisateur multiplie les scènes sous l’eau. Résultat : ses séquences, forcément muettes, sont trop nombreuses, trop longues (ce qui handicape grandement le rythme) et, surtout, empêchent tout développement correct de l’intrigue. En effet, alors que l’étrange créature du lac aurait dû être un modèle d’originalité (le film n’est tiré ni d’un roman, ni d’une légende folklorique… ce qui est une première pour Universal), on se retrouve avec une intrigue hyper-minimaliste et franchement prévisible (les explorateurs qui meurent les uns après les autres sous les attaques du monstre, l’inévitable confrontation entre les gentils héros qui veulent laisser le monstre tranquille et le méchant scientifique lui veut le ramener, mort ou vif, pour l’étudier…), appuyée par une BO qui fait dans le pompier (avec des envolées effrayantes dès que la créature apparait). Plus grave, les personnages sont tous plus transparents et caricaturaux les uns que les autres avec l’héroïne qui n’a aucun autre intérêt que de se faire enlever et de crier lorsqu’elle voit le monstre (Julia Adams en mode Scream Queen), l’habituel vieux professeur dont on oublie rapidement la présence (Antonio Moreno absent) et, plus grave encore, le transparent héros privé de charisme à force d’être parfait (Richard Carlson peu concerné). Seuls Richard Denning en méchant scientifique jusqu’au-boutiste et Nestor Paiva en capitaine atypique du bateau réussissent à apporter un peu de consistance à leur personnage, défaut de leur faire éviter le piège de la caricature. Dans ces conditions, on peut se demander comment "L’étrange créature du Lac Noir" a pu traverser les époques au point de faire partie du bestiaire classique d’Universal. Ce serait sous-estimer de beaucoup la créature et sa portée dans la culture populaire. Savant croisement entre l’homme et le poisson, ce monstre amphibien bénéficie de l’effet de surprise mais surtout de la qualité de son costume, qui avait tout pour faire factice (les photos du monstres font terriblement tocs) et qui s’avère, dans le film, étonnement réaliste (voir les mouvements des branchies et de la bouche). D’ailleurs, ses attaques, bien qu’attendues, fonctionnent gentiment, surtout lors des scènes de nuit, et se révèlent même amusantes, 50 ans plus tard, avec ses multiples plans sur sa main ou sur ses pieds. Et puis, le charme opère, malgré tout, car même privé de l’élégance à l’ancienne de ses prédécesseurs, "L’étrange créature du Lac Noir" rappelle les films de science-fiction (avec leur attaques extra-terrestres) qui commençaient à pulluler sur grand écran dans les années 50… même si ce charme désuet lui confère une indéboulonnable image de série B (voire Z) dont les précédents films Universal ne souffraient pas. Ce qui vient confirmer, s’il en était encore besoin, qu’on assiste bien à la fin d’un cycle.